Blogueur, nouveau prescripteur

Hier, j’ai passé une bonne journée de blogueur. Ca avait pourtant mal commencé avec un papier du Monde tellement stupide que j’ai vraiment cru que c’était la mise en ligne d’un article du 18 février 2006. Mais non.

Si vous l’avez raté, je vous invite à le lire ici (rien que le titre, déjà…).

Parmi mes morceaux choisis :

– « Le monde des blogueurs – ces particuliers qui ont créé un site Internet auquel ils confient leurs passions et leurs expériences du quotidien, à la manière d’un journal intime – intéresse de plus en plus les grandes entreprises spécialisées dans les biens de consommation. Elles y trouvent un moyen de communiquer sur leurs produits auprès d’un canal médiatique très prescripteur. » – on en était à ce niveau de compréhension il y a 6 ans…

– « Chez But, par exemple, on a fait en 2011 un point presse rien que pour eux (les blogueurs). » / « Une marque spécialisée dans le petit électroménager, qui souhaite garder l’anonymat, a ainsi organisé au printemps 2011 une conférence de presse pour les blogueurs à l’occasion du lancement d’une série spéciale. » – un point presse ou une conférence de presse, c’est pour la presse hein…

« Ce sont eux qui fixent le prix, et on voit si cela nous intéresse, en fonction de la fréquentation de leur site », explique-t-elle. « Il y en a même qui demandent 1 000 euros rien que pour assister à un déjeuner, avec un cadeau d’un montant minimal », ajoute-t-elle. « Les billets sponsorisés coûtent environ entre 300 et 1 500 euros », explique un autre conseiller en relations publiques. – Ce sont donc des responsables RP qui parlent d’une action publicitaire ou d’achat média (rappelons que les RP consistent à faire porter ses messages par une tierce personne libre, indépendante donc non rémunérée pour le faire). Je passerai sur l’image données de blogueurs qui fixent leurs tarifs, peut-être existent-ils mais je ne les ai jamais rencontré même dans le cadre de mon travail.

La mauvaise nouvelle, c’est qu’avec ce type de niaiseries, on peut s’attendre à des demandes de grandes marques qui invitent à la rémunération des blogueurs, tout en attendant le même impact que celui d’ambassadeurs librement convaincus. Car, entendons-nous, je n’ai rien contre la rémunération de blogueurs dès lors qu’une production de contenu leur est demandée sur un espace de marque. Mais écrire dans un article « selon les chiffres de Mediamétrie pour 2011, 88 % des internautes sont influencés dans leurs achats par les recommandations trouvées sur le Net » sans préciser que ces recommandations trouvent leur point de force dans l’adhésion spontanée des auteurs des billets, commentaires, twitts… indique un manque de compréhension des mécaniques d’influence.

Avec ma casquette de blogueur, je me suis positionné clairement sur le sujet. En 2009, j’écrivais :

Lorsqu’en août 2005 j’ai créé ce blog, je ne savais pas bien quoi en faire et encore moins ce qu’il allait devenir. De toute évidence, ma principale angoisse du moment était de ne pas laisser croire que je voulais jouer au journaliste. Un débat qui parait à la fois d’un autre temps et pourtant toujours filigrane dans pas mal de conversations en ligne. Dès le départ, mon blog était un laboratoire, un lieu utile pour expérimenter de nouvelles approches de marque, comprendre jusqu’où tenait le mélange des genres vie privée vie publique, comprendre les bascules de l’existence virtuelle aux liens dans le réel et inversement. Si j’ai toujours refusé les sollicitations (pourtant parfois exagérément alléchantes) qui m’invitaient à transformer mon blog en « arbre de Noël pour marque » de type billets sponsorisés, j’ai plongé à chaque fois qu’on me proposait de vivre quelque chose de nouveau dépassant la description d’un produit qu’on m’aurait offert. Par intérêt et conviction plus que par éthique.

Encore une fois en tant que blogueur, et même si c’est mon nombre de followers sur Twitter qui m’amène le plus de sollicitations, je mesure qu’il y a de moins en moins d’initiatives de marques qui invitent à l’expérience tout en laissant la liberté d’écrire ce qu’on veut à l’arrivée. Mais ce n’est pas une fatalité, l’une d’entre-elle m’ayant permis de vivre une super journée hier.

Tout a commencé par un concours sur Twitter : il s’agissait de montrer son soutien à son équipe fétiche dans le cadre de la rencontre de la 18ème journée du TOP 14, Stade Français – RC Toulon. Initiateur de l’opération, le Stade de France prenait le soin d’expliquer l’ensemble de la campagne dans une vidéo (étape que bon nombre d’annonceurs oublient) :

Fan de rugby depuis tout petit, mais dans une version plutôt retransmission télé que sur le stade, j’avais très envie de vivre l’expérience. J’ai donc joué, gagné ma participation et pu profiter d’un moment exceptionnel dans les coulisses du Stade de France qui avait intégré une mécanique de compétition entre 2 équipes bien décidées à gagner la bataille du livetwitt, sans autre bénéfice que le plaisir de la victoire. J’ai redécouvert sur place la dimension spectacle insufflée par Max Guazzini il y a près de 20 ans, rencontré une partie de la communauté rugby sur Twitter répartie en #TeamSF et #TeamRCT et participé avec plaisir à la production de contenus prévus dans le dispositif pour faire vivre la journée au-delà de twitter.

Parmi les grands moments, nous avons eu l’honneur de précéder les joueurs et d’entrer dans le Stade de France (encore vide) par la grande porte, guidés par la (très) charmante Gaëlle qui en a profité au passage pour nous apprendre plein de choses sur le Stade de France, ses secrets, son organisation et ses exigences en matière de sécurité.


Bravo au Stade de France et à Ludovic pour la belle journée et la démonstration qu’une « opération blogueur » pouvait faire mieux que rémunérer des internautes pour se rendre à une conférence de presse. Et si toutes les marques ne sont pas égales, la plupart sont en mesure de proposer des expériences plutôt que de la transmission d’information. C’est justement le travail des agences.

Comment La Redoute a réussi un modèle de gestion de com de crise digitale

Il y avait longtemps qu’un sujet marketing ne m’avait pas donné envie d’écrire sur ce blog. Par chance, je peux le faire cette fois puisque le sujet ne croise directement ni mon agence, ni mes clients. C’est tout simplement un cas unique (au moins en France) de réussite digitale exemplaire dont l’analyse par les quelques commentateurs m’a parue parfois un peu hasardeuse. L’outil Twitter et ses 140 caractères ayant montré ses limites pour faire part de mon point de vue et expliquer mon désaccord, je prends l’occasion de développer ici.

Au début du mois de janvier, un homme nu est découvert en arrière-plan d’enfants sur une photo de catalogue de la célèbre et très politiquement correct marque de vente par correspondance. Emoi généralisé sur le web, d’abord sur Twitter en mode moquerie, mobilisation plus profonde sur Facebook, emballement incontrolable : c’est le « bad buzz dont tout le monde parle ». Depuis l’avènement des réseaux sociaux, les internautes adorent ces moments où ils peuvent s’envoyer une « institution », que ce soit une entreprise, une personnalité ou acteur du corps social.

Pour couronner le tout, le concurrent Les 3 Suisses tire parti intelligemment du moment dans un mode très guerilla marketing en habillant le désormais célèbre homme nu avec la légende « Visiblement, tout le monde ne sait pas que nous avons des maillots de bain ». Malin.

La Redoute en est réduite à retirer immédiatement la photo et présenter ses excuses (notamment sur Facebook). Affaire classée ?

Comme le défend Olivier Cimelière sur Le Plus du Nouvel Obs, on pourrait penser que tout cela ne dépasse pas un microcosme qui n’atteindra jamais la clientèle très mainstream de La Redoute. Auquel cas, il serait en effet prudent de passer vite à autre chose, en espérant que les internautes soient prêts à laisser passer. Seulement voilà, la trace est laissée partout sur le web, espace évidemment stratégique pour un acteur de la VPC. A titre d’exemple, sous la pression de l’intérêt des internautes, Google renvoie très directement sur la malencontreuse aventure dès le début de la requête sur son moteur de recherche. De quoi attirer le regard du consommateur le plus éloigné de Twitter et Facebook.

Si on arrive comme moi à la conclusion qu’il faut absolument réagir, la grande question est : comment le faire de façon acceptable pour les internautes, sans provoquer un nouveau bad buzz encore plus dommageable ? Cora, attaqué pour ses démêlés avec une caissière renvoyée pour des raisons obscures, s’y était essayé en publiant maladroitement un vidéo de promotion interne totalement contre-productive.

Avec son agence CLM BBDO, La Redoute a donc décidé de publier cette semaine une vidéo

Sur le web, la réaction est immédiate, accueillie comme un « rebond sur le bad buzz », comme si La Redoute essayait d’en tirer parti. Avec la même dynamique sur Twitter, Facebook, YouTube et les blogs. Au final, le sentiment laissé est celui d’un coup marketing malin, sur le mode de ce qu’avait fait Les 3 Suisses. D’autant que les médias plus traditionnels s’en mêlent, parlant même parfois de « coup de pub », à l’instar de France3.fr, Paris Match ou Marie Claire.

Quels enseignements ?

On peut s’attendre à voir fleurir dans les benchmarks des agences de marketing digital pour leurs clients et les étudiants « le cas La Redoute qui a su transformer un bad buzz ». Mais il va falloir intégrer pas mal de finesse pour en tirer des enseignements clés pour le marché.

Pourquoi la réponse de La Redoute est un modèle du genre ?

Parce que la réponse vidéo applique adroitement au digital l’ensemble des règles de bases de la communication de crise et prend le niveau de risque raisonnable nécessaire. Une fois de plus, je ne sais rien de ce qui a présidé au choix de la marque et de son agence mais je le déduis de la vidéo et de son environnement. Dans le détail.

0:00 : le message est délivré dans un cadre très officiel, incarné par un dirigeant légitime et concerné : la Directrice e-commerce et développement de la marque. Le décor est sobre et professionnel, la voix posée et juste. Seule erreur : un mouvement des doigts qui traduit une certaine nervosité et aurait pu facilement être évité. Le tout dans une vidéo intitulée « les fails de la redoute » qui reprend la main sur un mot savamment utilisé pendant le « bad buzz », expression qu’on laissera aux commentateurs le soin d’utiliser.

0:10 : rappel des faits, sans fioriture, ni trop ni trop peu de détail, illustré de l’image. => Admettre les faits en les rappelant

0:19 : les excuses sont présentées, sans équivoque, clairement, le mot « erreur » est utilisé sans amplification. On ne parle pas de « problème », il n’y a pas d’usage d’adjectifs tel que inacceptable, incompréhensible ou simplement embarrassante, juste une erreur. => Prendre acte et s’excuser au niveau de la gravité de l’erreur, sans minimiser ni en rajouter (dans ce cas, il n’y a pas mort d’homme, il serait déplacé d’en faire trop par exemple)

0:25 : après le constat et les excuses vient le temps de l’action. On apprend donc qu’une équipe a immédiatement vérifié l’ensemble des images. C’est l’occasion de rappeler le nombre de photos (des milliers), une façon de dire en creux qu’avec un tel volume, l’erreur humaine est possible… et le sera toujours. => Annoncer les mesures prises immédiatement pour remédier au problème

Il s’agit ensuite de reconstruire en recréant de l’adhésion de la connivence ou de l’empathie selon les cas.

0:30 : alors qu’on s’attend à un message un peu langue de bois qui rassurerait sur le fait qu’aucune autre image comportant une « erreur » n’a été à déplorer, la Directrice y commerce amorce un twist. « Le résultat est assez EMBARRASSANT ». => Effet de surprise

0:34 : un exemple d’autres « erreurs » relevées est présenté, de façon à faire comprendre immédiatement le second degré de la révélation qui ouvre à un jeu présenté en détail, avec à la clé une récompense en résonance avec l’origine de l’affaire. Sans jamais quitter le ton institutionnel qui fait le succès du second degré. => une proposition participative, avec un enjeu.

1:04 : un rappel des différents espaces web concernés est clairement et sobrement présenté (site, Facebook, Twitter). => infuser dans tous les espaces concernés par le bad buzz d’origine. L’animation du jeu y est gérée minutieusement (ici sur Facebook)

Les deux grands enseignements qui me seront utiles pour décider et convaincre mes clients dans un cas similaire :

– Appliquer les règles de la communication de crise : prendre acte, s’excuser et montrer qu’on est dans l’action pour réagir, clôturer et enfin reconstruire. On notera que la temporalité du web impose d’entamer la reconstruction immédiatement après l’action, alors qu’on avait appris à le séparer en 2 séquences distinctes dans le cas de com de crise traditionnelle.

– Accepter un niveau raisonnable de prises de risque sans lequel un format trop institutionnel risquera de renforcer encore le problème de départ.

Merci donc à La Redoute et à son agence CLM BBDO (concurrente de la mienne, je le rappelle) pour le support qu’ils nous offrent afin de progresser tous ensemble dans le champ de mines que représente le nombre de Bad Buzz de grandes marques sur le web.