Schizophrénie

Tout a commencé en 2008. J’avais pratiqué le blog marketing, la rubrique « séries télé » d’un site, la curation d’articles professionnels, le relais de points de vue en anglais sur un twitter alors largement ignoré des français… J’avais exprimé un peu mon envie d’écriture en publiant quelques billets plus personnels. Mais je m’étais surtout composé un écosystème de représentation en ligne. Utile, et finalement souvent assez ennuyeux.

C’est avec la montée en puissance de Twitter en français et de la diversité de mes followers que j’ai pris une grande décision : dorénavant, je montrerais une partie de ce que je suis. Vraiment. Sans recherche de bénéfices particuliers. De la contrainte allait naître la liberté : puisqu’il devenait impossible de composer avec le croisement d’univers si divers -professionnels, personnels et amicaux-, autant ne composer avec personne. La seule limite (de taille) était d’échapper au conflit d’intérêt qui servirait la cause d’un client sous couvert d’avis personnel.

Assez vite, j’ai compris que l’envie de m’amuser primait. Une représentation assez fidèle de ce que je suis dans la vie quand je ne suis pas en représentation. Sans doute justement pour compenser un métier aussi exigeant et parfois pesant que passionnant, alors que mon blog était devenu un exutoire pour des sujets de plus en plus personnels, souvent noirs. Sur Twitter, je serais donc léger. Celui que seuls quelques-uns de mes amis connaissent.

J’ai rapidement et volontairement oublié que des collègues, des clients, des prospects, des candidats, des journalistes, des recruteurs potentiels ou encore des « influenceurs » me lisaient. J’ai considéré que les échanges qui se créaient avec eux dans cet univers virtuel y resteraient. J’ai créé une ligne de démarcation qui m’a souvent évité le périlleux exercice de débuter une conversation sur Twitter pour la prolonger dans la vraie vie. Tous ceux qui ont essayé se sont essuyé une fin de non recevoir. J’ai ignoré les remarques évoquant des « dommages collatéraux sur mon image professionnelle ». J’ai aussi refusé les concessions qui auraient pourtant servi ma popularité supposée : « je te suis sur Twitter si tu arrêtes avec tes livetwitts d’émissions débiles ».

A l’arrivée, je crois que ceux qui ne me connaissent aujourd’hui que sur Twitter m’imaginent écervelé, drôle, accro à la télé, bobo, plutôt sympa, assez superficiel, égocentré, ouvert et accessible. Alors que les lecteurs de mon blog voient sans doute quelqu’un d’un peu torturé, compliqué, renfermé, réflechi, égocentré et distant. Et comme tout le monde, je crois être un mélange de tout ça. Je l’ai juste séparé par espace d’expression, un peu comme un schizophrène l’exprimerait mais de façon pathologique, au même endroit et dans la vraie vie.

J’ai eu plusieurs échanges récemment qui m’ont fait m’arrêter sur le sujet. Un premier sur la nécessité d’exprimer son égo quand on passe son temps, en tant que manager, à l’écraser. Ensuite une conversation sur ce que « être vraiment soi » signifie. Enfin un débat sur le moteur lié à l’envie de se répandre sur Internet en frôlant trop souvent l’impudeur.

Il arrive toujours le moment où je m’interroge sur le sens de tout ça, où je me demande si je ne devrais pas mettre de la mesure et si, dans les quelques cas de communication sensibles que je gère, ce ne pourrait pas être utilisé contre moi. Je suis d’ailleurs souvent encouragé à plus de mesure par mes proches qui n’ont sans doute comme seul objectif que de me protéger. Il me reste à comprendre de quoi je dois me protéger.

Sidaction : pour les dons, c’est maintenant

En ce week-end de Sidaction (pour vos dons, c’est ici ou en appelant le 110), j’ai entendu plusieurs fois une information qui n’est pas nouvelle (Le Monde en parlait déjà il y a 2 ans) : un patient américain atteint d’une leucémie aurait guéri du Sida après avoir reçu une greffe de cellules souches. Voyant pour la première fois les mots VIH et guérison associés et soupçonneux de raccourcis auxquels est parfois contrainte la presse,  j’ai eu envie d’en savoir plus en interrogeant un de mes meilleurs amis, Gustavo Gonzalez Canali, spécialiste en immunologie clinique. La réponse est technique mais permet de mieux comprendre pourquoi la route est encore longue.

As-tu des infos sur le cas de ce patient dont parle la presse ?

Effectivement, on connait ce cas d’un patient assez exceptionnel qui avait une leucémie à la fois assez rare et agressive. Si mon souvenir est bon, c’était à San Diego en 2007.

De quoi souffrait-il ?

Il portait une délétion que nous avions étudiée et publié au CIRBS avec Luc Montaigner à l’Hôpital Saint Joseph. Cette délétion lui conférait une évolution particulière à l’infection par le VIH. Dans tous les cas, il faut savoir que les patients qui sont porteurs n’évoluent pas à la même vitesse que les autres vers le SIDA. Cette mutation, la délétion delta 32 sur le récepteur CCR5 du VIH, leur permet d’évoluer beaucoup plus de temps sans maladie. Cette particularité génétique est plus « concentrée » quoique très rare dans les populations nordiques, d’ou son appellation « protection des vikings ». Elle est inexistante dans les pays proches de l’équateur, ce qui pourrait également expliquer la plus grande importance et facilitation de la contamination dans les pays tropicaux.

Quel traitement a-t-il reçu ?

Son infection concomitante par le VIH n’était pas évolutive et était au second plan en termes de risque de mortalité. L’équipe médicale a décidé alors de pratiquer une greffe de moelle osseuse comme dernier recours pour traiter sa leucémie, tout en sachant le risque subjacent de réveiller le VIH.
Le traitement a été conduit de façon traditionnelle et dans les règles de l’art : chimiothérapie pour réduire sa masse tumorale (nombre des leucocytes anormales) puis, une fois obtenue une première rémission complète (disparition de toutes les formes anormales des leucocytes dans le sang), on procède à un aspiration de sa propre moelle osseuse laquelle est mise en culture sous traitement in vitro pour s’assurer de la disparition des cellules tumorales résiduelles.

En quoi ce traitement agit-il sur le VIH ?

Le patient reçoit une irradiation in toto, c’est à dire du corps entier qui anile complètement et définitivement toute trace des cellules souches hématologiques : globules rouges, blancs, plaquettes, et surtout, ce qui est le plus important : cela stérilise définitivement les cellules contenant du VIH dans le cerveau et -plus importante encore- les cellules appelées dendritiques. Celles-ci sont la dernière barrière pour l’éradication du virus car tous les traitements classiques antirétroviraux agissent lorsque les cellules sont en étape de phase S ou de multiplication. Or les cellules dendritiques qui sont le véritable réservoir du VIH (hormis le cerveau) ne se multiplient que tous les sept à dix ans, ce qui nécessiterait un traitement continu des antirétroviraux pendant au moins 70 ans pour être sur d’éradiquer tout trace d’infection ( en ayant agi sur toutes les cellules qui, par ailleurs, ne se multiplient pas toutes au même temps – cela serait trop simple…)
Le patient de San Diego, en chambre stérile, sans moelle, sans cellules souches, sans cellules dendritiques, toutes tuées par la radiation corporelle totale, a reçu sa moelle « guérie » in vitro et dépourvue de toute trace de virus. Miraculeusement, il supporte les 8 mis de chambre stérile, les infections concomitantes qui se sont déclarées pendant la période de « prise  » de la greffe. Et comme il s’agissait de sa propre moelle osseuse, il n’y a pas eu de phénomène de rejet, donc pas d’immunodépresseurs, seulement des immunomodulateurs à forte dose pour accélérer le développement de ses cellules hématologiques.

Peut-on considérer aujourd’hui qu’il est guéri ?

A ce jour, à 5 ans de la greffe, ce patient est toujours en rémission complète de sa leucémie, et aucune trace de virus n’a pu être détectée. Je serais prudent et ne parlerait pas de guérison mais on n’a à ce jour pas retrouvé trace du virus chez ce patient.

On comprend que ce résultat est exceptionnel dans le sens où il est trop lourd pour être étendu aux autres patients. Que peut-on en retenir quant au traitement du VIH pour tous ?

Effectivement il s’agit d’un méthode pas très orthodoxe, inapplicable théoriquement sur les 35 millions d’individus infectés par le virus, à un coût astronomique, dépassant le budget de la défense américaine…
Mais cette approche a en réalité permis d’explorer certaines « manipulations  » des globules blancs, et des lymphocytes en particulier, qui laissent espérer que dans une ou deux décennies on puisse espérer d’éradiquer le virus.

Où en sont les traitements, en attendant ?

Pour l’heure, on ne peut que se contenter de traiter le plus tôt possible : les personnes infectées qui bénéficient d’un traitement bien conduit ne sont plus capables à 99% de transmettre l’infection. Donc, le pic épidémique pourrait entrer en phase de plateau à condition d’accéder au plus grand nombre avec des traitements adaptés et bien tolérés. A cet égard, les traitements de quatrième génération permettent d’espérer qualité de vie et efficacité.