Business et Media sociaux : le point de vue de Forrester et moi

Je relisais hier une présentation que j’avais faite avec Loic Le Meur en août 2005 sur ce qu’on appelait dans mon agence d’alors les « media personnels ». Il y était beaucoup question de blogs mais on y parlait aussi largement du phénomène « trop peu scruté » des forums, de l’explosion des podcasts, de la révolution des flux RSS. On expliquait que les gens prenaient les rênes, court-circuitaient les filtres marketing. On disait aussi à un public de Directions Générales et Directions Marketing de grands groupes que leur environnement changeait vite et qu’ils allaient dans les deux ans faire évoluer drastiquement leur façon de considérer le mix media, impliquer les consommateurs et clients, mesurer le succès d’une campagne sur Internet et probablement, comme l’avait annoncé Business Week 3 mois plus tôt, modifier en profondeur leurs business…

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Loïc et moi, on se trompait. Peu importe que ce soit sur le nom de la révolution qui ne s’appelerait ni « blogs » ni « media personnels » mais « media sociaux », sur l’explosion très survalorisée des podcasts ou sur le manque d’anticipation du phénomène de micro-blogging. Avec autrement plus de dommages, 4 ans plus tard, force est de constater que les investissements des entreprises ont ridiculement peu évolué face à un bouleversement dont tout un marché a depuis appris à découvrir les subtilités et l’incroyable force de frappe.

Par un presque concours de circonstance, il se trouve qu’en août 2005, je lançais aussi mon blog qui allait bouleverser plus que ma vie professionnelle et je commençais à travailler pour Forrester…

Il se trouve qu’en mars 2009, Forrester a publié une étude qui met de nouveau en avant la timidité avec laquelle les entreprises se sont engagées et rappelle les fondamentaux sur la base desquels toutes les agences plus ou moins légitimes éduquent dorénavant leurs clients.

Ainsi, les budgets dédiés aux médias sociaux demeurent ridiculement petits comparés au reste du marketing interactif. Les trois-quarts des marketeurs affirment que leurs dépenses liées aux médias sociaux est de 100 000 dollars (ou moins) sur 12 mois.

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Les médias sociaux ne sont pas encore pris en compte dans les lignes budgétaires marketing. 45 % des marketeurs affirment que leurs budgets dédiés aux médias sociaux sont déterminés en fonction des besoins et 23 % affirment qu’ils récupèrent des fonds partout où ils le peuvent.

Face à cette réalité, le fait que seulement 53 % des marketeurs interactifs s’attendent à une augmentation de leur budget dédié au marketing des médias sociaux en réponse à la récession fait froid dans le dos.

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Les décisions d’investissement ou de réduction budgétaire sur les différents canaux sont presque présentés comme une bonne nouvelle par Forrester, je continue à les trouver incroyablement conservateurs, y compris dans un contexte de décroissance globale.

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En guise de recommandation, Forrester rappelle que le succès des actions sur les medias sociaux ne doit pas se mesurer de façon traditionnelle (interaction plutôt que taux de clic), qu’il y est question de long terme (budget planifié et organisation en place sont clés) et que les indicateurs de performance mesurables doivent être définis après une phase d’écoute incontournable et reposer sur la création de préférence pour générer des leads avant l’acte d’achat. J’ai déjà lu ça quelque part.

Sans rire. Loïc et moi, on s’est trompés il y a 4 ans. On ne s’est pas rendu compte qu’en convainquant, assez facilement, l’intelligence individuelle des décideurs en face de nous, on oubliait que le véritable enjeu tenait dans la nécessité de leur remettre les clés pour transformer une organisation globale et convaincre une puissance collective. Des corporations qui continueraient des années encore à benchmarker leurs choix avec de vieux modèles, se raccrocheraient à des metrix dépassés, tenteraient d’imposer des approches modernes dans une organisation caduque, externaliseraient ce qui ne peut pas l’être comme c’est le cas dans la relation des entreprises avec leurs parties prenantes sur le web, penseraient que des stratégies d’engagement fragmentées par quarters et bientôt par mois sont viables, imagineraient qu’embaucher un blogueur peut faire office de stratégie en media sociaux, fanfaronneraient d’avoir utilisé les dernier media social à la mode en guise de pertinence (après Second Life, Facebook et Twitter, who’s next ?)…

Et je crois que Forrester doit maintenant passer avec nous, et avec la presse traditionnelle qui a du mal à faire le job, à l’étape supérieure : celle où la nécessité de chaires spécialisées sur la compréhension des media sociaux dans les grandes écoles s’impose, où le management du changement est au moins mis au même plan que l’éducation sur les media sociaux, où aucune société de conseil en organisation n’ignore que ce que la gestion de l’interaction avec les gens sur Internet recquiert, où plus aucun coach de grand dirigeant n’accompagne des bouleversements qui devront se faire encore plus violent dans les entreprises maintenant qu’un  retard de 5 ans a été pris. Parce que c’est maintenant à ce niveau que se trouve l’urgence. C’est moins fun que le futur de Twitter mais définitivement plus profondément et durablement efficace.

Pour les quelques-uns qui étaient déjà là en 2005, je ne sais pas où vous en êtes, mais une chose est sûre de mon côté : l’idée de nous retrouver en 2013 avec le même constat relève de l’insupportable.

12 réponses sur “Business et Media sociaux : le point de vue de Forrester et moi”

  1. C’est marrant je vois souvent ces stats depuis qql temps, affichant les mêmes « volumes » de budget… Et le même constat: moins de 100 000$ pr les médias sociaux…
    Mais ce chiffre mériteraient (et serait bien plus parlant) une mise en perspective vis-à-vis du budget et de la taille du budget globale de l’entreprise… 100K sur 300K ou sur 3000K pr les médias sociaux représentent une certaine différence…
    Mon hypothèse sous-jacente étant que les « plus petites » structures, au budget plus réduit, investissent déja probablement plus dans les médias sociaux que les grandes entreprises (plus lourde à faire bouger) aux budgets bien plus conséquents…

    Ensuite, au regard (petite lorgnette mais bon) de la population française dans son ensemble, et pas d’un microcosme de « web-addict », les médias sociaux sont ils vraiment si important que ça dés maintenant, ou reste-t-il encore quelques années pour que le phénomène arrive à son plus haut…?

  2. Clem > Forrester répond en partie à la question puisque parmi les entreprises interrogées, 38% annoncent un budget inferieur à 10 millions de $, 11% entre 10 et 50 et 18% plus de 50 (les autres ne le révèlent pas). Mais je suis d’accord qu’une expression en pourcentage du budget alloué aux media sociaux serait plus parlante.
    Pour ce qui est de l’impact de l' »avis des pairs » recueilli sur Internet dans l’acte d’achat, je suis un convaincu, avec une resonnance qui va bien au-delà d’un microcosme. Mais la réponse se trouve surtout dans l’analyse du processus d’achat qui passe dorénavant par le web pour créer la préférence (de très bonnes études marketing existent sur le sujet). Ceci dit, le point d’orgue que tu évoques n’interviendra que lorsque la massification de l’achat sur Internet (qui détournera du rôle clé que jouent les points de vente) sera significative.

  3. Ce qui est agaçant avec toi, c’est que quand tu traites un sujet futile, on se dit il a du talent ; et quand c’est un sujet sérieux qu’il y a en plus de l’intelligence.

    Pas sûr que vous vous trompâtes (j’aime bien la placer celle-là). Simplement un peu visionnaire de la vague de fond par vos occupations professionnelles qui vous obligent à détecter ce genre de choses.

    Puisqu’on est dans l’égocentrisme, c’est un peu ce constat que j’ai fait de mon côté qui m’a poussé à centrer mon activité sur le développement des pratiques sociales, collaboratives, conversationnelles… vis-à-vis des organisations internes (cf. Sociotis). Il me semble en effet logique que les entreprises s’organisent selon la même logique que leurs publics externes, en apprennent notamment les codes, avant de pouvoir engager réellement un échange de fond avec la conscience du bénéfice à en tirer.

    (séquence pan sur le bec) Quand tu parles de « chairs spécialisées », tu ne penses pas que cela fait un peu nécrophage ?

  4. jbp > j’aime à croire que nous nous trompâmes ensemble pour l’effet de style… Je pense que tu as bien (dé)centré ton activité en tout cas, bravo.
    Pour la séquence nécrophage, un seul « e » vous manque, et tout est transformé (c’est corrigé!).

  5. Alors là je me retrouve complètement dans ton article !
    On me demande de faire du community management avec un budget approchant 0€. Je dois faire des pieds et des mains pour avoir un peu de ressources du côté technique pour obtenir un coup de main sur des aspects de design…

    Bouhouhou.

  6. la Fille du rock > le community management pour rien avec rien est quasiment la norme, j’ai donc l’honneur de t’annoncer que tu n’es pas particulièrement maltraitée 😉

  7. C’est fou, en plus d’etre fun, tu lis les etudes forrester ! (un de mes premiers boulot de stagiaire chez Euro C&O c’avait été de traduire un de leur rapport…)
    Sinon, je sais mon commentaire apporte un vrai plus au débat.

  8. Moi je pense que j’aime quand tu fais des billets de fond comme celui là !
    Comme tu le sais nous nous battons tous les jours [ou presque] à travers les conférences, les formations pour permettre aux communicants et autres marketeux d’ouvrir les oeillères !
    Ce renouveau passionnant implique des risques que les dirigeants tenus par des actionnaires gourmands n’osent pas prendre malheureusement…
    De ma petite expérience je retire que finalement, les entreprises qui se bougent dans les media sociaux sont aussi celles qui se sont pris une grosse claque par ces derniers et ont ainsi compris leur importance (Comcast, Dell et autres…)

  9. Une partie de l’explication peut-être (expérience personnelle) :
    quand je cherche des solutions pour intégrer les medias sociaux dans un plan de comm’ les agences auxquelles je fais habituellement appel (pas forcément spécialisées dans les médias sociaux, mais dans « l’interactif » ou le « digital ») et à qui je demande des compétences en la matière, répondent (de peur de perdre un budget) « Mais moi je peux faire ça… »
    Et alors on tourne en rond ; au mieux c’est un nivellement par le bas.

  10. Outre que je partage totalement les avis précédents, y compris sur le community management (bouh), ce billet me replonge dans de sacrès souvenirs !!!
    On dej quand déjà ?

    A très vite.
    PS : MERCI !

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