Comment La Redoute a réussi un modèle de gestion de com de crise digitale

Il y avait longtemps qu’un sujet marketing ne m’avait pas donné envie d’écrire sur ce blog. Par chance, je peux le faire cette fois puisque le sujet ne croise directement ni mon agence, ni mes clients. C’est tout simplement un cas unique (au moins en France) de réussite digitale exemplaire dont l’analyse par les quelques commentateurs m’a parue parfois un peu hasardeuse. L’outil Twitter et ses 140 caractères ayant montré ses limites pour faire part de mon point de vue et expliquer mon désaccord, je prends l’occasion de développer ici.

Au début du mois de janvier, un homme nu est découvert en arrière-plan d’enfants sur une photo de catalogue de la célèbre et très politiquement correct marque de vente par correspondance. Emoi généralisé sur le web, d’abord sur Twitter en mode moquerie, mobilisation plus profonde sur Facebook, emballement incontrolable : c’est le « bad buzz dont tout le monde parle ». Depuis l’avènement des réseaux sociaux, les internautes adorent ces moments où ils peuvent s’envoyer une « institution », que ce soit une entreprise, une personnalité ou acteur du corps social.

Pour couronner le tout, le concurrent Les 3 Suisses tire parti intelligemment du moment dans un mode très guerilla marketing en habillant le désormais célèbre homme nu avec la légende « Visiblement, tout le monde ne sait pas que nous avons des maillots de bain ». Malin.

La Redoute en est réduite à retirer immédiatement la photo et présenter ses excuses (notamment sur Facebook). Affaire classée ?

Comme le défend Olivier Cimelière sur Le Plus du Nouvel Obs, on pourrait penser que tout cela ne dépasse pas un microcosme qui n’atteindra jamais la clientèle très mainstream de La Redoute. Auquel cas, il serait en effet prudent de passer vite à autre chose, en espérant que les internautes soient prêts à laisser passer. Seulement voilà, la trace est laissée partout sur le web, espace évidemment stratégique pour un acteur de la VPC. A titre d’exemple, sous la pression de l’intérêt des internautes, Google renvoie très directement sur la malencontreuse aventure dès le début de la requête sur son moteur de recherche. De quoi attirer le regard du consommateur le plus éloigné de Twitter et Facebook.

Si on arrive comme moi à la conclusion qu’il faut absolument réagir, la grande question est : comment le faire de façon acceptable pour les internautes, sans provoquer un nouveau bad buzz encore plus dommageable ? Cora, attaqué pour ses démêlés avec une caissière renvoyée pour des raisons obscures, s’y était essayé en publiant maladroitement un vidéo de promotion interne totalement contre-productive.

Avec son agence CLM BBDO, La Redoute a donc décidé de publier cette semaine une vidéo

Sur le web, la réaction est immédiate, accueillie comme un « rebond sur le bad buzz », comme si La Redoute essayait d’en tirer parti. Avec la même dynamique sur Twitter, Facebook, YouTube et les blogs. Au final, le sentiment laissé est celui d’un coup marketing malin, sur le mode de ce qu’avait fait Les 3 Suisses. D’autant que les médias plus traditionnels s’en mêlent, parlant même parfois de « coup de pub », à l’instar de France3.fr, Paris Match ou Marie Claire.

Quels enseignements ?

On peut s’attendre à voir fleurir dans les benchmarks des agences de marketing digital pour leurs clients et les étudiants « le cas La Redoute qui a su transformer un bad buzz ». Mais il va falloir intégrer pas mal de finesse pour en tirer des enseignements clés pour le marché.

Pourquoi la réponse de La Redoute est un modèle du genre ?

Parce que la réponse vidéo applique adroitement au digital l’ensemble des règles de bases de la communication de crise et prend le niveau de risque raisonnable nécessaire. Une fois de plus, je ne sais rien de ce qui a présidé au choix de la marque et de son agence mais je le déduis de la vidéo et de son environnement. Dans le détail.

0:00 : le message est délivré dans un cadre très officiel, incarné par un dirigeant légitime et concerné : la Directrice e-commerce et développement de la marque. Le décor est sobre et professionnel, la voix posée et juste. Seule erreur : un mouvement des doigts qui traduit une certaine nervosité et aurait pu facilement être évité. Le tout dans une vidéo intitulée « les fails de la redoute » qui reprend la main sur un mot savamment utilisé pendant le « bad buzz », expression qu’on laissera aux commentateurs le soin d’utiliser.

0:10 : rappel des faits, sans fioriture, ni trop ni trop peu de détail, illustré de l’image. => Admettre les faits en les rappelant

0:19 : les excuses sont présentées, sans équivoque, clairement, le mot « erreur » est utilisé sans amplification. On ne parle pas de « problème », il n’y a pas d’usage d’adjectifs tel que inacceptable, incompréhensible ou simplement embarrassante, juste une erreur. => Prendre acte et s’excuser au niveau de la gravité de l’erreur, sans minimiser ni en rajouter (dans ce cas, il n’y a pas mort d’homme, il serait déplacé d’en faire trop par exemple)

0:25 : après le constat et les excuses vient le temps de l’action. On apprend donc qu’une équipe a immédiatement vérifié l’ensemble des images. C’est l’occasion de rappeler le nombre de photos (des milliers), une façon de dire en creux qu’avec un tel volume, l’erreur humaine est possible… et le sera toujours. => Annoncer les mesures prises immédiatement pour remédier au problème

Il s’agit ensuite de reconstruire en recréant de l’adhésion de la connivence ou de l’empathie selon les cas.

0:30 : alors qu’on s’attend à un message un peu langue de bois qui rassurerait sur le fait qu’aucune autre image comportant une « erreur » n’a été à déplorer, la Directrice y commerce amorce un twist. « Le résultat est assez EMBARRASSANT ». => Effet de surprise

0:34 : un exemple d’autres « erreurs » relevées est présenté, de façon à faire comprendre immédiatement le second degré de la révélation qui ouvre à un jeu présenté en détail, avec à la clé une récompense en résonance avec l’origine de l’affaire. Sans jamais quitter le ton institutionnel qui fait le succès du second degré. => une proposition participative, avec un enjeu.

1:04 : un rappel des différents espaces web concernés est clairement et sobrement présenté (site, Facebook, Twitter). => infuser dans tous les espaces concernés par le bad buzz d’origine. L’animation du jeu y est gérée minutieusement (ici sur Facebook)

Les deux grands enseignements qui me seront utiles pour décider et convaincre mes clients dans un cas similaire :

– Appliquer les règles de la communication de crise : prendre acte, s’excuser et montrer qu’on est dans l’action pour réagir, clôturer et enfin reconstruire. On notera que la temporalité du web impose d’entamer la reconstruction immédiatement après l’action, alors qu’on avait appris à le séparer en 2 séquences distinctes dans le cas de com de crise traditionnelle.

– Accepter un niveau raisonnable de prises de risque sans lequel un format trop institutionnel risquera de renforcer encore le problème de départ.

Merci donc à La Redoute et à son agence CLM BBDO (concurrente de la mienne, je le rappelle) pour le support qu’ils nous offrent afin de progresser tous ensemble dans le champ de mines que représente le nombre de Bad Buzz de grandes marques sur le web.

21 réponses sur “Comment La Redoute a réussi un modèle de gestion de com de crise digitale”

  1. Moi j’ai noté (je ne l’ai vu qu’une fois) une répétition du texte (deux fois le même mot ou expression) en quelques secondes que j’ai trouvé bof. Et j’ai zappé vite.

  2. Probablement parce que le buzz en question t’intéressait assez peu (ce que je peux facilement comprendre)

  3. Cela dit s’ils ont vérifié toutes les photos personne ne risque de se faire habiller 😉

  4. Bonjour,

    Je trouve cette analyse tout de même subjective.
    On peut tout à fait prendre la vidéo comme une marque de maîtrise de la situation de la part de La Redoute ou alors pas du tout.

    Dire que le message délivré est « incarné par un dirigeant légitime et concerné » est un peu « rigolo » : elle est surtout stressée voire terrorisée par le message lui-même.
    Tout est question de perception et c’est bien là le drôle de jeu de leurs communicants qui affirment avoir fait leur job en respectant les règles du bien-pensant qu’ils ont eux-même fixés (à commencer par le spectre d’Internet destructeur).
    Internet, c’est vous, eux et moi, c’est un peu tout le monde.

    Ce qui ne doit pas être déplorable pour l’image l’est pourtant : on en serait pas arrivé à des campagnes de contre-buzz si ces fameux responsables avaient contrôlé le travail de leurs stagiaires. Pas besoin d’une vidéo pour s’en rendre compte.

  5. Bonjour, si le message est qu’il vaut mieux éviter de faire des erreurs pour ne pas se retrouver dans cette situation, on est bien d’accord mais ce n’est pas mon propos (et je ne connais pas d’entreprise qui soit au risque 0 en la matière).
    Disons que le reste est subjectif, que j’ai donné mon avis et vous le vôtre. Mais un exemple de gestion exemplaire serait dans ce cas utile pour faire avancer le sujet.

  6. Je suis d’accord avec François, c’est plus un rattrapage maladroit et incontrôlé de dernière minute pour épargner (de pole emploi) les équipes responsables et qui n’ont pas fait leur travail…
    On est TRES loin d’un exemple en terme de contre buzz.
    N’oublions pas l’origine de leur bêtise : un homme NU avec des ENFANTS, et maintenant la REDOUTE s’en moque ouvertement en jouant avec ?!
    Je suis atterré par leur comportement aussi méprisant et désinvolte vis à vis de leurs consommateurs, et sur l’image en question, les enfants…
    Plutôt envie de gerber (voir boycotter cette enseigne) que de m’en servir comme cas d’école…

  7. Didier, je donne mon point de vue sur la technique de réponse de com. Et sur les réactions relevées, en très grande majorité positives, donc une réponse qui a marché. Mais je comprends absolument que le problème de départ puisse choquer et laisser des traces négatives, même si ça me choque de façon très limitée (je pense que les plages naturistes ne sont pas interdites aux enfants, je ne vois pas de transgression majeure même si, encore une fois, je vois très bien les dérives inappropriées qui peuvent en être faites).
    BEE, si le problème de départ a été créé de toute pièce, ça me parait l’opération marketing la plus stupide jamais créée, je ne pense pas que ce soit le cas mais on ne saura sans doute jamais…

  8. yo

    je trouve qu’effectivement la mécanique derrière est « comme à l’école ». Le phasing est irréprochable, l’intérêt d’un appel à la communauté évident (il était temps remarque…).

    Néanmoins, si on reprend l’élément de départ : il ne s’agit QUE d’un épisode anecdotique, certes négatif, mais enfin un homme nu sur une photo (ok, il y a peut être un enjeu dans les familles de France, et encore…) c’est tout de même fingerz in ze noze à rattraper non ? Pas de meurtre, pas de vol, pas d’intoxication, pas de malversation.

    A voir donc s’il s’agit d’un cas d’école…ou d’un cas d’étude 🙂

  9. Yo aussi,
    Regarde les bad buzz de marque en France ces derniers mois, la plupart du temps, il n’y a pas mort d’homme (Veet, Petit bateau…). Et ils s’en sortent moins bien.
    (sinon, tu vois ce que je suis obligé de faire pour que tu passes me voir ici /o/)

  10. Bonjour,
    Merci pour cette analyse assez fine. Mes cours de communication de crise ne me semble pas si éloignés que ça et, justement, je m’interrogeai sur les capacités des agences digitales à appliquer la théorie de la comm de crise aux cas comme Cora ou Hugo Boss. Je vous rejoint tout à fait sur l’idée que la Redoute s’en sort mieux que les autres dans cette situation, en ayant eu l’intelligence de ne pas se précipiter dans une justification brouillonne.
    Cette opération de concours est très très astucieuse et je garde l’idée dans mes annales. Merci encore.

  11. @Eric mais je suis tout ce que tu fais, j’ai juste souvent rien à ajouter 😀

    t’as qu’à m’envoyer un Doodle, non mais oh 😀

  12. Eric,

    Merci pour ce billet (j’arrive un peu en retard), et je te rejoins lorsque tu relativises quelque peu la gravité du problème de départ.

    La vidéo et l’opération, le jeu mis en place, sont pour moi un bon moyen de reconstruire la relation que La Redoute souhaite (apparemment) entretenir avec sa communauté et ses consommateurs. Je pense néanmoins que la gestion de « crise » s’arrête aux excuses et aux mesures correctrices.

    J’aurais sans doute dissocié le jeu concours de l’annonce officielle.

    A bientôt 🙂

  13. Eric,

    J’imagine qu’il n’est pas trop tard pour laisser un commentaire. A la vue de la vidéo, je suis d’accord avec votre analyse. Intervention sobre, comme le cadre. Tout à fait appropriée que ce soit la personne directment responsable qui intervienne et non pas un haut dirigeant afin de ne pas en faire une « affaire d’état ». Comme vous le dites, il n’y a pas mort d’hommes. Le langage est simple, sans trop d’entousiasme. Toutefois, j’ai ressenti comme un manque de sincérité.

    Leur appel à contribution a-t-il fonctionné?

    Peut-être un prochain article pour nous éclairer sur les raisons du succès ou échec du rebond de La Redoute ?

  14. Si quelqu’un avait le courage d’analyser ce qu’il reste de ce « bad buzz » et de sa gestion, 10 mois plus tard, ce serait chouette et on saurait enfin qui avait raison 🙂

  15. @Eric bah forcément, si le sujet de « crise » (lol) est anecdotique, ça restera anecdotique même l’année prochaine 😀

    (oui je suis abonné à ce billet, ET ALORS :p )

  16. J’ai dit que je trouvais ça anecdotique mais on en a bouffé pendant 1 mois de cette pseudo crise 🙂

  17. Ca va bien. Quand j’ai besoin d’un peu de calme , je quitte Twitter et je viens ici 🙂

  18. ouais je comprends. Moi je vais sur l’IRC, y’a des vieux robots russes qui font des ASCII de DINGUES

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