Ici et maintenant

Depuis quelques mois, je vis dans un monde parallèle assez déstabilisant. Mon goût pour la culture populaire est tout chamboulé, sans qu’aucune cause ne puisse se dégager avec évidence. Ce que tout le monde aime ne m’emballe pas, ce qui semble décevoir tout autour de moi m’emporte littéralement. Soit je détiens le goût populaire ultime, celui qui n’appartient qu’à moi, soit j’ai définitivement perdu le mojo. Je ne suis pas sûr d’attendre la réponse avec impatience… Et plutôt que de m’arrêter longuement sur mes déceptions, j’ai choisi de défendre mon coup de coeur.

Redouter avec impatience le retour d’Alan Ball

Difficile de ne pas s’inquiéter de la possibilité d’une énorme désillusion quand le créateur vénéré de sa série préférée promet (enfin) un retour aux sources. Alan Ball est celui qui a pensé, écrit, parfois réalisé et toujours inspiré, jusqu’à devenir l’âme de la série, « Six Feet Under » produite entre 2001 et 2005 et diffusée par HBO. Très injustement réduite avec le temps au programme ayant le mieux réussi sa sortie alors qu’il était culte dès sa première saison et multi récompensé. J‘en ai suivi sa diffusion scrupuleusement dans une époque où l’accès aux séries américaines ressemblait pourtant à un parcours du combattant.

A Los Angeles, très loin des paillettes d’Hollywood, la vie d’une famille à la tête d’une entreprise de pompe funèbre se craquèle à la disparition du père. Avec une mécanique récurrente, d’ailleurs copiée de nombreuse fois depuis : un décès en début d’épisode puis sa gestion par la famille Fisher. Un prétexte pour scanner les peurs et failles des américains de l’époque, au travers de scénarios ciselés, teintés d’humour noir. L’entrée par la loupe grossissante que constitue la confrontation au décès permet de traiter frontalement des sujets alors largement enfouis dans l’Amérique de George W. Bush : famille, adultère, drogue, solitude, folie, homosexualité, adolescence…

A la sublime fin de la série, difficile pour HBO de laisser s’échapper son créateur. En s’engouffrant dans le mythe alors très à la mode des vampires pour le transformer en allégorie du sida, sujet encore brulant dans l’Amérique en pleine transformation de l’ère Obama, le deuxième bébé d’Alan Ball m’aura pourtant perdu en cours de route. « True Blood » était ambitieux, cérébral, animal et exigeant avant de devenir après une vingtaine d’épisode une caricature de son sujet qui aura pourtant tenu sous perfusion 7 saisons jusqu’en 2014.

Here and now, l’incompris ?

La famille selon Alan Ball version 2018

Dix sept ans se sont écoulés depuis le lancement de « Six feet under ». Dans l’Amérique de Trump, Alan Ball décide de radiographier une famille multiraciale progressiste pour traiter de sujets de société qu’on peut désormais adresser frontalement, sans faux-semblants. S’il y est toujours question de famille, adultère, couple, drogue ou homosexualité, c’est dans une normalité désormais augmentée au prisme des religions omniprésentes, de sexualité devenues plus ou moins fluides, de précarité parfois cachée, d’éducation vacillante, de racisme larvé ou de dictature de l’image égocentrée. La réalité des Bayer-Boatwright est marquée par le choix des parents intellectuels d’adopter 4 enfants issus de toutes les régions du monde, aujourd’hui devenus grands. Sur le papier, on peut craindre une politique de quotas de couleurs de peau presque ridicule. Le pilote ne rassurait d’ailleurs pas complètement sur ce point.

J’ai choisi, comme toujours quand j’attends une nouvelle série avec impatience, de ne pas plonger tout de suite, de patienter jusqu’à ce que quelques épisodes permettent de fonder un point de vue éclairé. Assez pour décoder la mécanique devenue beaucoup moins linéaire, comprendre la façon dont la psychologie des personnages sera déployée, pénétrer un univers forcément déstabilisant. Et ce n’est qu’après avoir dévoré, plus exactement binge watché en mode obsessionnel absorbé, les 6 premiers épisodes que j’ai découvert les critiques assassines. Des attaques assez bien condensées dans le papier de Pierre Serisier sur son blog hébergé par Le Monde. Morceaux choisis : « Alan Ball propose une histoire qui refoule son public« , « on s’en fiche un peu de ce couple, Greg (Tim Robbins) et Audrey (Holly Hunter) … / … leur démarche tourne à vide comme une roue dépourvue d’engrenage« , « Ball a réuni tellement de clichés en un épisode, il semble aimer si peu ses personnages qu’on suffoque dans cet aquarium familial« . Certes, le papier a été écrit sur la base du seul épisode pilote mais quand même, on en retrouve la substance de ce qui s’est globalement écrit aux Etats-Unis et en France sur le sujet.

Comment une série qui a réussi à ce point à atteindre les sommets d’intelligence et de modernité que j’en attendais peut-elle provoquer un tel rejet ? Quand j’y vois une analyse pointue de nos sociétés dont les cartes sont sans cesse rebattues, dans un format qui croiserait le meilleur de « Six feet under » avec le regard authentique de « Big little lies », les autres regrettent un produit ennuyeux et prétentieux.  Serais-je trop indulgent, trop acquis à la cause, trop concerné ? Je n’ai pas encore trouvé les critiques qui me rassurent mais je les attends avec impatience tant le futur de la série y est forcément conditionné.

Mes déceptions à la chaîne

Dans le même temps, j’ai donc vécu à plusieurs reprise ce moment où l’engouement généralisé pour un film ressemble à un mystère sans réponse. J’ai à chaque fois une raison très précise que je vais tenter de résumer en une phrase. Mais j’y reviendrai sans doute.

J’ai aimé le rôle central des femmes, pas la façon dont la culture africaine était mise en scène de façon caricaturale (je sais que je suis le seul)
Si l’ambiance italienne donne envie d’y passer une semaine de vacances, cette histoire d’amour ne m’a pas touché. Les parents Amira Casar et Michael Stuhlbarg m’ont beaucoup plus convaincu que Armie Hammer et surtout Timothée Chalamet.
Frances McDormand a mérité son Oscar mais le manichéisme de l’ensemble est tellement extrême ça ne marche pas sur moi.

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