Où t’as mis le gène de l’opening joke déjà ?

Vous connaissez les opening jokes. Non non, ce n’est pas une question. Si vous avez déjà assisté à la présentation d’un américain, regardé les Oscars ou vu un acteur anglophone en interview plateau, vous connaissez forcément les opening jokes. Ces petites phrases d’introduction à une intervention permettant de créer en quelques secondes une connexion entre l’orateur et son audience. Parmi les mystères des temps modernes, il y a cette incapacité des français à pratiquer l’exercice naturellement avec talent. C’est donc tout naturellement que j’ai souffert.

opening-joke

A notre décharge, l’équilibre d’une bonne opening joke est fragile : il s’agit de trouver la blague courte de quelques secondes qui résonne pour tout l’auditoire. Celle qui autorise une gentille moquerie mais évite le sarcasme ou, pire, l’attaque frontale. Et elle doit être drôle. L’idée est de créer de la connivence, pas de se mettre à dos 50% du public. Sans compter que, dans un contexte international, il faut jongler avec la langue, éviter les blagues trop locales et composer avec les barrières culturelles de l’humour.

Le truc, c’est qu’en France, on peut en faire l’économie. L’entrée en matière perd en efficacité mais on survit. Face à une audience cosmopolite, ce n’est pas une option. Une prise de parole sans opening joke est un ratage total, un marasme dont l’auteur ne se relèvera pas de si tôt.

Je ne sais pas vous mais moi, je n’ai jamais eu de cours d’opening joke à l’école. J’ai appris sur le tas. Douloureusement.

Tout jeune responsable de la presse pour Kodak au CES de Las Vegas en 1995, je devais présenter les intervenants de Big Yellow à une sélection de journalistes en provenance du monde entier. Avec introduction des premiers appareils numériques grand public et tout le tintouin. L’une des rares fois où j’ai cédé au port de la cravate, ça montre le niveau. Le big boss de la communication m’ayant « offert » la place pour cause d’intervention dans une conférence 10 minutes plus tard vient me voir 5 minutes avant l’entrée en scène.

– Tu me foires pas ton opening joke hein, y a des durs à cuire dans la salle (don’t screw up your opening joke son)

– Kuooooouuuaa ? (My Whaaaat ? What the fuck ?? Toussa)

– Ta blague d’intro, t’as préparé quoi ?

– Euh, j’suis dessus, j’aime bien la spontanéité, les blagues préparées c’est pas trop mon truc

– Mouahahahahah mouahah. Nan mais sérieux.

– Je suis le seul en cravate, je voulais faire un truc sur ça

– Oui c’est ça et moi j’avais prévu de parler de mon petit dernier qui me couve une rubéole. En vrai, faut que tu me bosses un truc en 2 minutes petit, sans un éclat de rire généralisé, tu la débuteras jamais ta conf de presse.

Il m’a laissé là avec ma mes joues violacées, ma cravate assortie, un café américain XXL tremblotant dans ma main droite et aucun visage ami anglophone auquel demander un coup de main. Comme on voit défiler sa vie, j’ai du passer en revue l’intégral des blagues Carambar et de l’Almanach Vermot réunis.

C’est donc résigné face à l’échec prématuré d’une carrière qui n’avait pas eu le temps de débuter et sous la pression des orateurs visiblement impatients que je me suis avancé en direction d’un micro dont le fil s’est méthodiquement agrippé à ma chaussure. Dans une cascade digne du Stallone de la grande époque, je me suis contenté de renverser la quasi intégralité de mon latte vanille sur la cravate, dernier rempart à la brulure au troisième degré.

Sans paniquer, j’ai pris le micro et sans l’ombre d’une émotion, j’ai lâché : « J’ai une bonne nouvelle pour vous, vous n’aurez à subir ça que quelques secondes, ma maladresse et moi-même n’avons fait le déplacement depuis la France que pour vous présenter l’élite de l’agilité photographique de demain ». Enfin quelque chose d’approchant dans mon anglais de l’époque. C’est le rire dans la salle qui m’a autorisé à ravaler ma honte (et mes larmes de colère) et à décrocher mon premier sourire de la journée. J’ai appris 1 heure plus tard, col de chemise ouverte et cravate à la poubelle,  que tout le monde avait cru à une référence : un orateur s’était vautré sauvagement sur scène le matin même, ce que j’ignorais copieusement.

J’ai gardé de cette sad expérience l’habitude de préparer mes opening jokes. Même si, avec le temps et à force d’assister à des présentations, j’en ai appris les quelques techniques de base assez simples. Même si je trouve toujours sur place matière à un LOL spontané ou matière à l’auto dérision qui fonctionne toujours, je ne me rends jamais à une intervention sans une référence à l’actu, cohérente avec le public attendu dans la salle ou mon intervention. Clic clac…

9 réponses sur “Où t’as mis le gène de l’opening joke déjà ?”

  1. J’adore cette anecdote, du genre à rester gravée dans la mémoire et riches de leçons pour celui qui la partage évidemment mais aussi pour le lecteur 😉

  2. Ce qui me rassure c’est que je fais souvent de même parfois volontairement. Comme je n’ai jamais réussi à trouver d’opening joke suffisamment conciliante pour tout le monde ou qui ne soit pas à 2000 lieues de ce que je dois dire après, je fais assez souvent le coup de la cascade, faire semblant de trébucher, faire tomber quelque chose.

    Autre technique qui marche bien, mettre de la musique à fond. J’ai fait en particulier un nombre assez dingues de ppt qui commençaient sur de la musique poussée à fond.

    Ce qu’on ne ferait pas pour nous donner un peu de consistance devant une audience 🙂

  3. Parce que je suis pas une pute, je te file l’opening joke la plus ultime de tous les temps, celle que personne peut battre.

    – Combien pèse un ours polaire ?
    – Aucune idée…
    – Assez pour briser la glace. Je suis Le Reilly.

    De rien.

  4. Hier soir, aux Golden Globes : « Hello, I’m Paul McCartney. Or as I’m now known, that guy from Rock Band. »

  5. putain j’en ai jamais fait moi, c’est ca qui me manque mais je nous sens moyen capable, mon sens de l’humour et moi…

  6. Ma légendaire maladresse me sert en général d’opening joke : un truc sur lequel trébucher, une gaffe à commettre, un verre à renverser, un contresens diplomatiquement lourd de conséquences, laissez tout, c’est pour moi.

    Mais une fois que j’ai surmonté ces horribles premières minutes où je songe à mourir de honte, je suis charmante, spirituelle, détendue et souriante, bref irrésistible. En même temps, si je veux pas me faire lyncher, j’ai pas trop le choix.

    Survivre en milieu hostile, on appelle ça. C’est dire si j’ai hâte d’entrer dans une pièce pleine d’inconnus, en général…

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