Mutation des entreprises media socialisées : les modèles de réussite

En lisant le très bon (et assez courageux) billet de Laurent, je me suis interrogé sur les freins à l’évolution rapide de la pensée dans les entreprises. Est-ce que la raison se trouve dans le déficit de confiance que les annonceurs portent à des consultants externes qui manquent trop souvent d’humilité, de crédibilité et surtout de compétences marketing suffisantes pour intégrer les enjeux des media sociaux dans les disciplines fondamentales ? Ce déficit conduirait-il à s’intéresser de façon obsessionnelle à un sujet secondaire : le ROI ?

J’ai commencé il y a quelques mois un travail d’analyse des bonnes pratiques en matière de change management induit par l’atterrissage du digital dans les organisations. Au départ pour en tirer un livre que je n’écrirai sans doute jamais, les exemples dont je connais le mieux les contours se situant dans l’écosystème de mes clients (dont je ne parle jamais par principe). Et à ce stade, c’est sans conteste aux Etats-Unis et en Asie que je serais allé puisé les meilleurs modèles qui m’auraient amené à une conclusion un peu différente de celle de Laurent. Tout ça m’a donné l’envie d’un petit rebond.

Voici donc en exclusivité le plan du livre « Mutation des entreprises media socialisées : idées reçues et modèles de réussite » que je n’écrirai pas. De toute façon, ce titre aurait été beaucoup trop long, personne n’aurait acheté ça.

– Le modèle top -down a de l’avenir

Les media sociaux seraient donc le royaume du collaboratif, de l’échange, de la conversation ? Oui, sauf au moment où il s’agit d’impulser la mise en place de l’organisation qui va avec. Le frein numéro 1 à l’évolution des structures est l’absence d’implication d’une direction générale qui doit aligner les décideurs de l’entreprises autour d’un plan stratégique et opérationnel absolument top down, marketé autant que possible et intégré . J’en parlais début 2009 dans différentes conférences (voir slide 29) :

La bonne nouvelle est que les grands patrons comprennent très vite les enjeux et la posture à prendre dès lors que le sujet passe en haut de la pile de leurs urgences. La mauvaise est que ça se produit souvent pour de mauvaises raisons : une crise… Dans les deux cas, l’accompagnement externe requiert un niveau d’expérience que les experts des media sociaux n’ont pas toujours, en cela je rejoins le point de Laurent.

– La fonction media social internalisée et séniorisée

Pour piloter un plan media social voulu par la direction générale, laisser les clés à un consultant extérieur n’est forcément pas une bonne idée. Et considérer qu’un plan stratégique sera implémenté par un community manager, même malin, est un non sens. Les exemples cités dans la présentation ci-dessus sont des entreprises qui se sont toutes dotées d’une fonction stratégique : le responsable des media sociaux (Social Media Manager), senior, légitime, membre du codir, respecté des autres managers fonctionnels. La plupart du temps, il se sera entouré de spécialistes externes et aura constitué avec eux une équipe opérationnelle internalisée. Scott Monty chez Ford en est un excellent exemple. L’enjeu de la gouvernance du déploiement stratégique des medias sociaux est clé mais elle n’exclut ni les consultants, ni la collaboration et elle se joue bien au-delà du marketing.

– Une culture transmedia et du test permanent

Pour comprendre pourquoi la culture media social ne peut se vivre en silo mais doit irriguer toute l’entreprise par le haut, le meilleur exemple dont je peux parler n’est pas corporate mais politique. Lorsqu’on rencontre l’équipe qui a piloté la campagne d’Obama en 2008, on comprend très vite que le vrai succès de la démarche reconnue par tous comme un modèle ne réside pas dans la capacité donnée aux medias sociaux à mobiliser et lever des fonds comme on l’a lu un peu partout. Le vrai succès résidait dans la capacité à intégrer les réseaux sociaux dans une démarche transmédia qui prolongeait un mailing sur Facebook, mobilisait par email pour renvoyer dans la vraie vie. La même équipe explique que la deuxième innovation qui leur sert aujourd’hui de modèle mis au service d’entreprises est la culture de test permanent qui consiste à accélérer le déploiement d’une idée, quitte à la faire évoluer voire à l’annuler si elle ne fonctionne pas autant qu’escompté. Seule une fonction stratégique transversale peut imposer un tel bouleversement culturel dans la rapidité de mise en oeuvre décomplexée.

– Le ROI n’est jamais une mauvaise question

La question du retour sur investissement est complexe puisqu’elle s’est toujours basée sur des indicateurs plus ou moins légitimes mais acceptés par tous comme preuve de réussite. Les indicateurs n’existent pas dans les médias sociaux, pas plus qu’ils n’existent en matière d’influence. Mais il n’y a aucune raison pour que la complexité de la réponse aboutisse à une négation de l’intérêt de la question. Choisir d’investir stratégiquement dans les media sociaux répond forcément à un enjeu de ROI finalement pas si difficile à évaluer à un niveau macro. Il « suffit » de répondre aux questions qui fondent les enjeux de l’entreprise : les medias sociaux me permettent-ils de recruter de nouvelles typologies de consommateurs ? Ma présence sur les media sociaux me protège-t-elle en cas de crise ? Ma relation avec mes clients est-elle effective partout où mes clients se trouvent, y compris sur les medias sociaux ? Suis-je une entreprise attractive auprès de haut potentiels très actifs sur les media sociaux ? Evidemment, lorsqu’on considère le ROI par action tactique indépendamment d’un enjeu stratégique, le ROI est toujours plus complexe à déterminer, sauf à décréter à quel objectif il contribue et à préciser de quelle façon.

– Faire émerger les bonnes pratiques des erreurs : la calamité du « bad buzz »

Au cours de ces derniers mois, la méthode des experts a consisté à s’abreuver de ce qu’ils considèrent comme des ratages qu’ils aiment appeler des bad buzz au premier soubresaut. Evidemment, la presse s’en délecte, toujours plus émue par ce qui rate que ce qui réussit. Je m’étais exprimé sur le cas Gap un peu à contre-courant, je pourrais faire la même chose avec le cas Veet. Une marque tente des choses sur le web, ça ne marche pas : encourageons là à tenter d’autres choses plutôt que de l’envoyer à l’échafaud pour une production discutable qui au final divise d’ailleurs plus qu’elle ne provoque un rejet généralisé (voir les commentaires des articles). Chaque fois qu’une marque ose, elle prend un risque. Si une marque ne prend pas de risque, elle meurt. J’attends des experts qui guident qu’ils en tirent les bons enseignements constructifs. Je ne suis probablement pas le seul.

Si quelqu’un veut compléter, débattre et écrire le livre qui va avec, je laisse ce plan en creative commons 🙂

13 réponses sur “Mutation des entreprises media socialisées : les modèles de réussite”

  1. Très intéressant, pour toutes les parties où je partage ton avis mais aussi (et surtout) pour la partie sur Veet et la prise de risque. Il est vrai que si on commence à condamner toute tentative ratée, qu’on ne se plaigne plus que les marques ne prennent pas de risques et perso je l’avais oublié face à la campagne Veet. Merci de le rappeler.

    Et bien-sûr qu’on aurait acheté ton livre, même avec un titre aussi long 😉

  2. je suis plutôt d’accord sur veet, l’idée était louable sur la cible, mais il y a eu des maladresses opérationnelles. d’ailleurs a-t-on interrogé la cible en question pour savoir ce qu’elle pensait de l’opé ?

    De mon côté c’est ce « risque » de l’innovation qui arrête souvent les clients de passer à l’acte (au delà d’ouvrir une page FB et, parfois, un compte Twitter…)

  3. Je ne rebondis pas là ou tu m’attends mais j’aime bien ta vision du cas Veet que je n’ai pas commenté de la même manière d’ailleurs…

  4. Bonjour Eric, je ne suis pas une experte du 2.0 mais je m’y intéresse parce que je trouve le sujet très stimulant intellectuellement.
    Donc de mon point de vue de communicante classique avec une forte curiosité 2.0, je me demande si l’on ne doit pas aussi recentrer la question des médias sociaux vers la question des contenus. C’est d’ailleurs ce que je lis entre les lignes dans votre laïus sur « La fonction media social internalisée et séniorisée ». Car finalement, avant de s’inquiéter des « contenants » purs, il faut peut-être s’intéresser aux contenus. Si l’on a rien à dire d’intéressant, même avec la meilleure campagne, il ne se passera rien, ou alors ça fera vite pschitt.
    Pour reprendre l’exemple de la campagne US, si Obama l’a emportée, ce n’est pas (seulement) grâce au web, c’est certainement aussi parce que son message était porteur d’espoir et que les électeurs ont voulu y adhérer.
    Et au sujet du fameux ROI, oui, cela reste le sujet n°1 des annonceurs. En tout cas, dans le milieu BtoB dans lequel je suis, nos clients ne nous jugent que sur des résultats sonnants et trébuchants. D’ailleurs (mais encore une fois, les problématiques BtoB sont certainement très différentes du BtoC), jamais nos clients ne nous demandent de les accompagner sur les médias sociaux…

  5. Deux questions me taraude : pourrais tu donner 3 noms d »‘experts » en médias sociaux ?
    Une fois ceci fait, peut on les interroger et avoir leur avis sur le sujet du top down, du ROI et des cases studies ?

    Juste parce qu’à force de lire ci et là des avis, tribunes ou autres, j’en viens à me demander qui sont vraiment ces experts dont on chante les louanges lorsqu’une belle infographie ou prez sort, et qu’on envoit au bucher en criant au bullshit le lendemain.

    Et puis c’est un peu toujours pareil dans ces débats (qui n’en sont pas, au final) : tout le monde a raison, mais on n’arrive (ose ?) jamais à nommer ceux qui ont tort.

  6. Vos commentaires me font penser que j’aurais du remplacer ce billet par un regard un peu décalé sur le cas Veet 🙂
    Herveline, je suis absolument d’accord avec toi, la posture qu’on a pris ici depuis plus d’un an est le croisement d’un contenu fort et d’une distribution (owned/earned/paid) précise. L’enjeu du contenu est tellement fort que j’ai créé un département dédié dans mon agence (ce qui n’est pas classique en RP).
    Guewen, je peux facilement te donner 3 noms d’experts intervenants particulièrement sur les réseau sociaux (Cédric, Frédéric, Greg, Manu, ils se reconnaîtront) et comme tu le dis, personne n’a raison ou tort, il y a des points de vue différents ce qui est plutôt sain. Bref, je te sens un peu énervé mais je ne sais pas pourquoi 🙄

  7. Ah mais je suis très calme, voire même de bonne humeur (le soleil, tout ça).

    En fait, on manque de vrais débats, de confrontations (ou alors je ne vais pas sur les bons sites / blogs), puisque la plupart du temps, à la suite d’un article comme celui ci, on ne lit quasiment que des « je suis d’accord ».
    D’où mon envie de lire plusieurs experts s’exprimer sur un même sujet 🙂

  8. Tu as envie d’un peu de baston, je comprends, ça m’arrive tous les jours :))

  9. Ah ben c’est gentil ca monsieur Eric !
    D’ailleurs, je pensais à ce genre de débat entre professionnel !
    Comme tu l’as pour des journalistes ! Ca pourrait être drôle 😀

  10. 1. J’achete toujours les livres aux titres improbables ou trop long moi…
    2. Le cas Veet, qu’est ce qu’on dit déjà ?… Ah oui! Chat échaudé craint l’eau froide
    3. Sur ce genre de questions (essentielles) dans nos métiers, la vraie source de savoir et d’intelligence est dans le collectif et dans le partage des expériences des « experts » justement. Tiens, une boucle en fait… Et on n’a pas encore toutes les réponses pour d’éviter les processus itératifs. Mais ça viendra, forcément.
    4. Observer et se faire le troubadour du web de ce qu’on remarque permet déjà une avancée certaine. Plus constructif peut être que les caduques je suis d’accord » et son alter ego « je ne suis pas d’accord »

  11. greg > mais je suis gentil, ou au moins j’ai un bon fond, et tu le sais ^^
    Mathilde > bon ok je vais écrire le livre pour toi, tout à la main du coup, et je te le vendrai super pas cher genre prix d’ami quoi. Et vive le débat étayé, oui !

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