La révolution de la SVOD décryptée (5 / 5)

[Previously On] : La SVOD s’apprête à enrichir drastiquement son offre pour des consommateurs qui risquent de s’y perdre. Netflix montre des signes de faiblesse (que la presse commence d’ailleurs à sortir depuis 3 jours), Disney + vend du rêve avec une force de frappe de contenus quasi inégalable mais sur un principe qui semble copier ce qu’a inventé le leader, les autres (internationaux ou français) tardent à montrer de la clarté concernant leur plateforme.
Quel est le risque ? Il est double et il commence à émerger explicitement du côté des observateurs.
Quelles idées pour le contourner ? Dans cette suite et dernier chapitre du dossier SVOD, je tente des pistes de réponse qu’on n’entend à mon avis pas assez .

Vers une économie de la frustration à maîtriser pour éviter le pire

Véritable casse-tête, la situation la plus probable pour le consommateur sera de se retrouver avec un ou des abonnements qui créent de la frustration en ne donnant pas accès aux contenus qu’il souhaite voir. Il faudra alors composer avec des clients mécontents dont les plaintes risquent d’occuper les services consommateurs et les réseaux sociaux de tous les acteurs sans exception. On a droit à un avant-goût “grâce“ à Canal + qui a eu l’idée étrange de lancer enfin le bon package avec Canal + Séries en n’y intégrant pas tout son catalogue (pas de “Bureau de légende“ ni de “This Is Us“ par exemple). Le but est sans doute de préserver la valeur ajoutée de l’abonnement à Canal + historique mais l’opération tue dans l’œuf une offre qui avait pourtant tout pour prendre une place de choix. Au-delà de l’exemple, aucune plateforme n’est complètement à l’abri du risque de disqualification.

Retour au téléchargement illégal ou volatilité des consommateurs ?

Face à la frustration, les réponses consommateurs sont souvent extrêmes. Au moment où le premier épisode de la dernière saison de “Game of Thrones“ a été téléchargé illégalement plus de 55 millions de fois en 24h dans le monde (1,3 millions en France), la question du retour à une consommation hors plateforme légale se pose. D’autant que des services comme Popcorn Time offrent une qualité qui n’a pas grand-chose à envier aux plateformes payantes sans les complexités et le risque qu’engendrent le téléchargement peer-to-peer et l’accès par VPN. L’illégalité s’affranchit en plus des cadres réglementaires qui imposent une chronologie des médias fluctuantes par pays et des quotas de productions locales forcément contraignantes dans des équations de production / diffusion déjà complexes.

Papillonner entre les différentes plateformes d’un mois à l’autre, en profitant d’offres de premier mois gratuit pensées pour faire du recrutement, en y intégrant une consommation par piratage est un dommage collatéral moins extrême qui ne peut pas échapper aux spécialistes mais est finalement assez peu évoqué par les analystes. La véritable réponse viendra peut-être de la capacité du marché à structurer des offres points d’entrée vers l’ensemble des contenus à des tarifs optimisés.

Mon point de vue sur les innovations attendues

On doit tous espérer qu’un modèle rémunérateur viable avec une réelle valeur ajoutée du service (qualité du flux, interface, connexion communautaire…) voient le jour pour continuer à financer une production d’une telle richesse.

En termes de point d’accès centralisés vers les différentes plateformes, l’Apple TV pourrait reprendre complètement un sens qu’elle avait un peu perdu, si Apple TV+ n’induisait pas une méfiance sur la mise en avant des contenus. Les opérateurs auront sans doute leur rôle à jouer (mais sont-ils vraiment sur le coup ?), des acteurs tels que Molotov, aguerris à l’enjeu des droits, pourraient trouver une évolution intéressante.

En termes de marketing, chaque plateforme devra travailler sur une identité et une éditorialisation montrant un ADN reconnaissable et des spécificités, au-delà du marketing de chaque série qui est déjà très en place. Il me semble que le chemin à parcourir reste gigantesque dans le domaine. Un capital sympathie se grignote vite, certains pourraient en faire la cruelle expérience.

En termes de contenus, au-delà des productions anglo-saxonnes, les récents festivals SERIES MANIA et CANNESERIES ont montré le dynamisme du secteur partout dans le monde en récompensant des séries espagnoles, israeliennes, belges, norvégiennes, québécoises ou françaises. Le début de travail mené par Netflix pour faire de productions locales des succès internationaux pourrait s’accélérer pour reconstituer des catalogues de qualité et attractifs, s’affranchissant au passage de fins de droits et licences complexes sur les séries américaines. Là encore, la pensée marketing d’intégration dans l’identité des plateformes jouera un rôle clé pour assurer le bon niveau de considération par les utilisateurs.

Série espagnole primée au Festival CANNESERIES

Mais surtout, en termes d’usage, on pourrait rêver d’innovations qui paraissent évidentes mais sont aujourd’hui inexistantes ou déléguées. Par exemple structurer dans la plateforme une interface qui montre et organise les prochaines diffusions des épisodes et séries qu’on suit ou veut suivre, sur le modèle des applications TV (Show) Time ou Beta Series, serait tellement malin. Et intégrer une logique réellement communautaire sur le modèle de “Sens critique“ (ou “Rotten Tomatoes“ au niveau mondial) complémentaire à l’approche algorithmique simplifierait la vie de tout le monde. A commencer par la mienne.

Je serais ravi de constituer des playlists des séries que je conseille / regarde plutôt que de répondre quotidiennement à la question : “tu conseilles quoi comme série ? “. Et je serais encore plus content de suivre les recommandations de ceux auxquels je fais confiance pour me guider vers les « immanquables » malgré mes goûts éclectiques et bizarres (oui, je kiffe aussi bien “Dynasty“ que “Dark“).

Et puisque la question sur les recommandations séries reste plus que jamais d’actualité, la liste des prochaines séries à ne pas manquer selon moi à partir de cette semaine jusqu’à l’été est ici en bonus.

Retour au début du dossier.

Ma déception Social TV en France

Il y a quelques mois, je m’engageais dans un débat à distance à l’occasion de la quatrième édition du rendez-vous Communauté consacré à la Social TV. Dans un format Twitter forcément raccourci, j’y exprimais mon agacement devant un traitement auto-congratulant ronronnant d’une opportunité que les chaînes françaises me semblent prendre mollement. Les initiatives de la Social TV depuis 3 ans se sont multipliées, elles m’ont amusées sans me convaincre complètement, persuadé qu’elles devraient faire plus, autrement, dès maintenant. Je vais essayer de développer un peu plus les raisons de mon agacement.

 Un business model en question

Jusqu’à nouvel ordre, le business de la télévision privée est régi par une unité de mesure quasi unique : l’audience. Les chiffres de Mediametrie déterminent la valeur du spot publicitaire pour les annonceurs. Les programmes sont disponibles en replay sur des plateformes web ou des applications pilotées par les chaînes sans que leur d’audience ne pèse réellement dans la balance et en y recréant le modèle publicitaire de la télévision (avec des coupures publicitaires le plus souvent à la hache, au milieu d’une phrase).

Dans ce contexte, les chaînes investissent dans un community management propriétaire dont l’impact sur l’audience n’a jamais vraiment été démontré. Il suffit de comparer les cartons sur les médias sociaux (Les Anges de la Télé Réalité, Confessions Intimes, Secret Story…) et les audiences (sur les séries françaises et américaines notamment) pour mesurer le décalage. Audiences TV et social media se rejoignent sur les grands événements tels que la Coupe du Monde ou,en plus récurrent,  les quelques grandes marques qui proposent du direct qui créé l’événement telles que « The Voice » ou « Danse avec les stars. Faute de mieux, les chaînes expliquent sans grande conviction leur investissement -limité- par l’attachement à la marque que cela créé avec le téléspectateur. Ca ne suffira pas et il serait possible de faire tellement plus dès maintenant, aller au-delà d’un prétexte à promotion un peu vide de sens.

Des modèles internationaux inventifs peu appliqués en France

A regarder de plus près ce qui est pratiqué en Israël ou dans les pays scandinaves, on mesure combien la télévision française reste timide en matière de Social TV et on se demande comment est opéré le benchmark qui permettrait, faute d’innover complètement, de prendre les meilleures inspirations. Là où on se contente d’inviter les téléspectateurs à « réagir sur les médias sociaux » pour en faire au mieux un relais à l’antenne un peu excluant pour le téléspectateur et le plus souvent pour n’en faire absolument rien, des programmes ont intégré beaucoup plus fortement cette interaction dans l’éditorialisation et la valeur du programme.

Il suffit de regarder The Voice aux Etats-Unis pour mesurer combien d’autres vont déjà beaucoup plus loin pour donner un sens à cette interaction. Étonnamment, la valorisation de cette participation est d’ailleurs terriblement appauvrie dans les transpositions françaises. J’ai compilé dans une vidéo (qui ne passe pas pour raison de droits NBC, je comprends bien) quelques moments qui montrent comment l’interaction peut créer de la valeur intrinsèque au programme ou même dans un écosystème plus large : downloader un titre sur iTunes sert de vote (et créé au passage une nouvelle dynamique sur le marché de la musique en souffrance), les invitations au livetweet sont thématisées, il est possible de sauver des candidats en twittant… On aurait pu y intégrer ces moments où les coachs s’interpellent sur Twitter en incrustation écran, élaborant sur le choix d’un candidat ou jouant d’une complicité très inclusive pour le spectateur.

L’adaptation de Rising Star sur M6, qui n’a pas vraiment fait ses preuves à l’étranger, est annoncée comme une révolution en la matière. On attend de voir.

C’est donc en grand fan de télévision et de media sociaux que j’ai envie de voir les chaînes réinventer vraiment leur modèle et créer de la valeur autour de l’interaction. On peut penser que ça va arriver vite mais en attendant, je reste un peu sur ma faim.