La préface que je n’écrirai pas

Pour la première fois, j’ai du me résigner : je ne pourrais pas tenir mon engagement. En tout cas pas en diletante donc pas dans les temps. Pourtant, le sujet me semblait important mais pas tellement plus complexe que les préfaces de livres ou de mémoires sur les thèmes de communication classiques pour lesquels on me sollicite habituellement. Je me suis trompé.

Le postulat de départ était simple : si le rapport à l’image est l’une des composantes de mon métier, conditionne-t-il les capacités d’un communicant ? Et notamment, la beauté fabrique-t-elle de bons communicants et inversement ?

L’étudiante ayant choisi de scanner la problématique largement, socialement autant que professionnellement, je m’étais engagé à une préface illustrée de témoignages d’hommes et de femmes sur leur façon de gérer voire jouer de leur physique dans leurs relations au quotidien.

Après avoir eu instinctivement la bonne idée d’éviter d’interroger des proches sur le sujet, j’ai sollicité au hasard de rencontres des gens qui avaient pour seul point commun un goût évident pour la communication interpersonnelle. Le premier niveau de réponse se révélant aussi creux qu’inexploitable, balayé d’un revers de trait d’humour, j’ai compris qu’il faudrait prendre le temps de creuser un sujet qui ne se survole pas. J’ai donc fixé des entretiens avec un garçon qui jouait de toute évidence de son physique disgracieux avec abus d’excentricité, une très joie fille qui semblait l’ignorer, un ex-mannequin d’Abercrombie en quête de reconversion et une demoiselle grande gueule qui me paraissait défendre son droit à l’indifférence physique.

En 4 entretiens, j’ai réalisé que mes questions entraient au plus profond de l’intimité de l’humain. Des douleurs d’enfance aux combats quotidiens de l’adulte, tout y passait. Avec des révoltes, du sentiment d’injustice, des larmes même. Je me retrouvais assez vite dans la position du psy de comptoir que je déteste. Contre toute attente, la beauté semblait un poids au moins aussi lourd à porter que la disgrace. « Un enfant laid le restera toute sa vie, je ne comprends pas les regards qui se posent sur moi avant de mettre en doute mon honnêteté quand je m’en étonne. J’ai cultivé mon fort caractère pour qu’il compte plus que ce qu’on voit, ce n’est pas une coquetterie« . « Mon excentricité était mon dernier rempart avant le désespoir, elle n’est pas que physique, elle a fait de moi un leader naturel dans un groupe, une posture souvent prise pour une facilité à communiquer. » … Signe à mes yeux de la pire attitude possible pour un intervieweur, je ne pouvais m’empêcher de m’identifier à mes interlocuteurs et de projeter sur moi certaines des situations qu’ils décrivaient et n’avaient pourtant jamais occupé mes pensées.

L’un des bénéfices de l’engagement auprès d’étudiants ou jeunes auteurs est de traiter des problématiques qu’on n’aurait jamais abordé spontanément. Je continue aujourd’hui à en profiter. Dans ce cas, j’ai senti que le sujet m’échappait, m’emmenait trop loin, au-delà de thèmes techniques dans lesquels l’émotionnel ne compte presque pas. J’y reviendrai un jour, peut-être. Désolé pour cette fois.

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