Du passeport biométrique au bar-tabac

Passeport_biomtrique_1 Après mon aventure du mois de juillet et dans la perspective d’un voyage aux US qui finalement ne se fera pas, je me suis courageusement lancé fin décembre dans le nouvellement de mon passeport. Bien décidé à mener l’expérience dans le calme – sans parler de volupté, j’y ai consacré un après-midi et l’ai traité comme si c’était un dossier pour mon travail. Je travaillais pour un client, ce ne serait pas toujours simple, il y aurait probablement des obstacles, des moments de découragement, des batons dans les roues mais c’était normal, c’est bien pour ça qu’on nous paye non, régler les problèmes ? Mais on n’est jamais à l’abri de bonnes surprises…

Méthodiquement, je commence à préparer mon dossier "passeport biométrique" et me mets sur le papier un petit rétroplanning. Ca commence par un appel pour vérifier que ça se passe à l’antenne de ma mairie, j’en profite pour m’assurer que rien n’a changé concernant les éléments nécessaires. Tout va bien et en plus, les horaires d’ouverture correspondent. Je trouve étonnamment facilement un photographe "agréé", disponible, sympa et sur mon chemin pour réaliser les photos d’identité adaptées : sans sourire, sans barbe ni moustache, sans cheveux devant les yeux, sans lunettes, sans burka… Bref nature, pas super fun mais pile à la bonne dimension. Je regroupe dans mon dossier la fiche d’état civile que j’avais prévue pour l’occasion et 2 justificatifs de domiciliation à Paris. Ca ne m’a pris qu’une heure, moi qui en ai prévu 4, je suis déjà en train de me dire que je suis vraiment un bon français : pessimiste et ronchon sans raison.

Il ne me reste plus qu’une formalité : acheter un timbre fiscal à 60 Euros. Je ferai ça en face de la mairie. Je plonge dans le premier bar-tabac à la sortie du métro et remarque immédiatement une large pancarte sur la caisse enregistreuse qui indique en rouge : "nous n’avons plus de timbres fiscaux". Evidemment, je demande quand même au monsieur qui se révèle aussi aimable qu’un serveur de bar tabac parisien et me répond qu’il ne sait pas où je peux en trouver, probablement dans un autre bar. Ca m’aide bien. Au deuxième essai, pas de pancarte mais un monsieur qui semble avoir pris des cours de sourire avec le premier. Il esquisse vaguement une grimace lorsque je lui présente ma requête et tord la bouche pour me répondre qu’il n’en a plus. Je crois lire dans ses yeux quelque chose qui ressemble à "t’as pas fini d’en baver mon pauvre vieux", il doit lire dans les miens "ça doit vraiment être un sale métier de vendre des cigarettes pour finir à ce point aigri" mais je me reconcentre aussitôt sur mon dossier du jour. Je longe Rivoli pour m’approcher de Saint Paul et je tente en chemin un libraire-tabac.

Une petite dame avec l’accent du sud est en train de parler avec un habitué. Elle me lance un grand bonjour puis m’oublie aussitôt pour reprendre sa conversation. En même temps, elle semble charmante avec ce sens du commerce qui manque parfois un peu dans les grandes villes. Elle s’étend sur les soucis de sa petite dernière qui refuse d’aller à l’école depuis qu’elle s’est découvert un bouton sur le nez qui la rendrait forcément pathétique aux yeux de tous les garçons de sa classe. Bien intéressant tout ça. Après 5 minutes et juste avant de la laisser rentrer dans les détails du charcutage de comédon au couteau suisse par une pré-ado de 9 ans, je me permets de l’interrompre poliment. "Je suis un peu pressé". Elle ne lâche pas son sourire pour me lancer un tonitruant "regardez moi ce grand jeune homme, tout nerveux, même plus le temps de patienter 2 secondes, c’est ça la nouvelle vie des jeunes maintenant, on se parle plus, on n’a le temps de rien". Deux nouveaux clients sont rentrés entre-temps, je sens le rouge me monter aux joues. Au moins, je suis un jeune homme, j’ai pas tout perdu. Je me lance dans ma question du jour, elle me gratifie d’un énorme éclat de rire.

Je sens bien que la réponse est qu’elle n’en a pas. Je n’hésite même pas avant de lui demander pourquoi je n’en trouve nulle part, s’il y a une explosion de contravention dans Paris, si elle a un conseil pour que je trouve ça avant d’atteindre la porte de Bercy. "Mon pauvre monsieur, c’est bien simple : on en a ras le bol nous de se faire avoir par l’état. Ils nous livrent des quantités ridicules de timbres fiscaux qui partent en 1 heure, après c’est à nous d’aller nous réapprovisionner. On n’est pas la poste, on a autre chose à faire que de courir tous les matins à la recherche de timbres. Et puis on n’est pas la banque de France non plus. Pourquoi je leur avancerais de l’argent moi, hein, pourquoi ?". Evidemment, c’est la version courte. On est passé par une bonne dose de déclinisme, la droite qui fait n’importe quoi, la gauche qui comprend rien, Delanoë qui va "voir ce qu’il va voir", les émeutes en banlieue, je l’ai interrompu au moment où je crois vraiment qu’on allait revenir aux ennuis dermatologiques de sa fille. Je sais comment je peux régler ça, je vois bien à quoi elle fonctionne : je lui lance avec une petite voix étranglée : "Je comprends bien tout ça madame mais du coup, comment je fais pour trouver des timbres fiscaux moi parce que vraiment, j’ai besoin d’en trouver aujourd’hui ?". Avec un ton tellement déprimé que je réussis à faire passer la vie de Cosette pour un vaudeville comparée à la mienne.

Elle baisse la tonalité de sa voix de 2 tons et comme si elle allait me révéler le code qui permet de déclencher l’envoi d’une arme nucléaire, elle me glisse quasiment au creux de l’oreille : "vous pouvez toujours aller chez mon petit collègue à Saint-Paul, il en a parfois en réserve. Mais, si j’ai un conseil à vous donner, allez directement à l’hôtel des impôts, là vous êtes sûr d’en trouver". Et là surtout je sens que mon planning va vraiment déraper. Je la "remercie". Je cours à Saint-Paul. Le monsieur du bar tabac doit encore se demander pourquoi j’ai failli lui sauter au cou quand il m’a sorti 2 timbres fiscaux à 30 Euros.

La reste n’a été qu’une formalité, à peine 10 minutes d’attente à la mairie, une demoiselle charmante et fière de moi pour avoir apporté toutes les pièces nécessaires du premier coup, 30 minutes de papiers à remplir, signatures, trucs à taper sur l’ordinateur… Il ne m’aura finalement fallu que 3h30 pour régler l’affaire, j’avais été mauvais esprit.

Mon conseil du jour : essayez d’étaler sur une semaine la réalisation de votre passeport le jour où ça vous tombe dessus et ne considérez jamais que vous êtes arrivés tant que vous ne tenez pas votre passeport entre vos mains. D’ailleurs, il faut que j’aille chercher le mien dès que je pourrai prendre 1h00 dans mon emploi du temps en pleine semaine et pas à l’heure des repas évidemment…

5 réponses sur “Du passeport biométrique au bar-tabac”

  1. Pas mal du tout, pour immatriculer ma voiture à Paris, il m’a bien fallu trois jours…

  2. Que de suspense! Tu promets, tu retourneras chez la libraire-tabac histoire de nous tenir au courant de l’issue du combat fatal jeune fille vs comédon?

  3. C’est tjs une grande aventure et en même temps, c’est très nécessaire pour le canada en juillet.
    Et tu crois qu’il nous faudra un visa aussi ?????
    Comme tu blogues bien quand même je te gratifie d’un « j’adore ce que tu fais » fort à propos…
    bisous

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