J’ai été mal réglé à la naissance. Un déséquilibre de poids émotionnel, beaucoup trop faible à l’oral, beaucoup trop fort à l’écrit. J’ai ça depuis toujours. J’ai tenté des expériences, qui continuent encore pour la plupart, pour tenter de corriger ce défaut d’origine. Je n’y parviens que par petites touches, la route reste longue. Quelque chose me dit que ce billet ne va pas aider…
Captiver une audience: ce talent qui s’apprend… juste un peu
Après le théâtre, ma thérapie pour m’exprimer mieux devant une audience, qu’elle soit d’une ou de 300 personnes, a consisté à choisir un métier dans la communication, plus exactement les RP. Un métier qui, dans les années 90, s’exerçait principalement au téléphone, le medium thérapeutique par excellence. Celui qui oblige à exagérer les émotions pour les faire passer. Si on veut avoir l’air sympa au téléphone, on sourit, si on veut avoir l’air amusé, on éclate de rire. On force les émotions, justement tout ce que je ne savais pas faire.
Au fur et à mesure des années, j’ai appris quelques astuces qui m’ont au moins permis de « vendre » une histoire. J’ai progressé. L’ironie du sort est que je donne aujourd’hui des cours de « storytelling au quotidien » à des élèves qui s’améliorent je crois sous mes conseils, apprennent à distiller des détails, à faire monter la tension, orchestrer un début, un milieu, une fin, intégrer un enjeu, dans tous leurs sujets de conversation… Parler à la part émotionnelle de notre cerveau pour permettre à sa part rationnelle de prendre des décisions, selon la fameuse théorie défendue par le neuroscientifique Damasio dès le siècle dernier.
J’ai progressé, mais je m’ennuie toujours en parlant de moi. Ou, pire, je perds le contrôle de mes émotions. Hors il n’y a pas de bon storytelling à l’oral sans se livrer un minimum. Les gens disent poliment me trouver pudique mais la réalité est moins glorieuse : captiver une audience en m’exprimant devant elle reste un challenge qui nécessite un travail, un effort, une tension parfois douloureuse, rarement agréable en tout cas.
Se protéger derrière des mots écrits: pas si simple
On a sans doute tous un mode d’expression de prédilection. Le mien est depuis toujours l’écrit. Ado, j’écrivais de longues lettres à mes ami(e)s. Aujourd’hui encore, je leur envoie plus facilement un email que je ne leur passe un coup de fil. Dans une mécanique exactement opposée à ma relation au langage parlé, m’exposer par écrit, me dévoiler sans filtre est un acte absolument naturel. C’est dire à quel point le blog a immédiatement constitué un mode d’expression confortable pour moi.
Pour autant, cette facilité ne m’a pas exempté d’efforts. Assez vite, j’ai compris qu’il fallait que je me protège. J’ai bien senti par les réactions provoquées que la perception de mes textes dépassait mon intention : alors que je pensais ne parler que pour quelques proches et moi, des inconnus commentaient, m’écrivaient, me renvoyaient une charge émotionnelle au niveau de la mienne, supposée, dont je n’avais absolument pas conscience. Je me livrais beaucoup, quasiment par inadvertance. Je me souviens, à l’époque où j’écrivais sur lepost.fr sur les séries télé (!), de cette lectrice fidèle qui me racontait au quotidien le calvaire qu’elle vivait à la maison avec son mari. « Parce que je la comprendrais mieux que personne ». Je n’avais pas les clés pour réduire le poids de l’émotion distillée que je continue d’ailleurs à avoir du mal à réaliser aujourd’hui.
Avec l’arrivée de twitter, j’ai donc décidé que je n’y serais que léger. C’est en 140 caractères, des dizaines de milliers de fois, que j’ai répandu de la légèreté à la limite de la superficialité. Mes acolytes ont alors commencé à me renvoyer quelque chose de simple et souvent drôle. Je m’emploie à me déconnecter si je ne me sens pas d’humeur. Et je garde la plupart de mes textes pour moi : de mes publications quotidiennes sur ce blog et dans quelques médias, il n’en reste qu’un ou deux par mois. De plus en plus rarement sur mes expériences. Quand j’en écris, je tends à ne pas publier.
On fait quoi maintenant ?
Lorsque finalement, je me décide à publier un texte comme celui-ci, je suis toujours étonné qu’il puisse être lu, ne serait-ce que par une seule personne. Je ne comprends pas le processus qui fait traverser la zone des émotions d’un cerveau de lecteur potentiel. Et puis, je me pense à l’abri : qui pourrait bien s’envoyer des mots au kilomètre sur un écran d’ordinateur en 2013 ?
Mais c’est peut-être ça le secret : ne pas chercher à séduire, posture plus simple à défendre à l’écrit que dans la vie, aiderait un interlocuteur à se projeter et à créer de la proximité ? Je me demande ce qu’en aurait dit Damasio… Dans le doute et sans réponse, je me relis attentivement avant de publier pour supprimer ce qui dirait trop sur moi.
Au final, je n’ai effacé qu’un seul paragraphe de ce texte, toujours aussi peu capable de discerner ce qui relève de l’expérience partagée de ce qui frôle l’impudeur. Et je compte sur mes amis pour m’alerter quand je ne me protège pas assez. La touche « delete » n’est jamais très loin.
T’entendre, t’écouter ou te lire est toujours un réel plaisir Éric …
À tout bientôt, encore !
J’ai lu des mots au kilomètres à quelques milliers de kilomètres 😛
Dominique Desjeux
Professeur d’anthropologie sociale et culturelle à Paris V-Sorbonne
Directeur scientifique d’Argonautes, expliaue bien que
» La pudeur est un code qui fixe socialement les frontières entre les dieux et les hommes, le chef et les sujets, les hommes et les femmes, les adultes et les enfants. L’enjeu de la pudeur n’est donc pas l’existence ou non d’une frontière, qui semble être présente dans toute société, mais la position et la nature de la frontière entre les groupes sociaux. C’est ce qui fait l’ambivalence sociale de la pudeur qui est tout en même temps une condition de la construction identitaire et de la coopération entre les groupes, un instrument de domination sociale et un moyen de contestation sociale. La pudeur est un enjeu social dont les finalités et les limites sont sans cesse reconstruites par les hommes » et continue : » S’il paraît établi que la transgression des règles de la pudeur peut tout autant relever de la libération que de l’aliénation, peut-on affirmer que ces règles sont universelles avec la même certitude ? En effet, cette affirmation d’universalité qui fonde l’anthropologie ne semble pas évidente a priori, surtout quand je regarde les photos des indiens Nambikwara d’Amérique du sud, du livre de Claude lévi-Strauss (1ère éd., 1955, Plon), Tristes tropiques : ils sont entièrement nus et sont pris en photo dans des positions qui paraissent représenter des relations sexuelles en public et donc prouver qu’ils sont dans un état de nature, « sans honte », proches d’Adam et Eve d’avant le pagne de feuilles de figuier. Et pourtant, d’après Emmanuel Garrigues, sociologue visuel à Paris VII et spécialiste des photos de Lévi-Strauss, la pudeur existe bien. Les photos ne montrent que des jeux sexuels qui sont considérés comme permis dans l’espace public, car quand il y a rapports sexuels les partenaires vont s’isoler dans la forêt. Il leur faut un espace intime caché du regard des autres.
Comment gérer la norme et le regard des autres ? J’ai retrouvé la même question dans le livre de Abdessamad Dialmy (1995, EDDIF), Logement, sexualité et Islam, qui traite des interdits sexuels dans l’Islam, comme le « qae’-derrière » qui correspond à l’homosexualité et à la sodomisation de la femme, deux pratiques « fortement prohibées par de nombreux hadiths » (p.46). Il montre aussi comment le manque de chambre à coucher, et donc d’espace intime, autant dans les villages traditionnels que dans les villes modernes marocaines, et tout particulièrement dans les quartiers pauvres, rend difficile l’expression du sentiment amoureux. « Pour jouir, raconte une femme interviewée, j’ai besoin de me sentir à l’aise et non obligée de faire cela à la sauvette pour éviter de réveiller ma belle-mère qui dort dans l’autre coin de la pièce » (p. 142). Abdessamad Dialmy montre donc que la possibilité de préserver sa pudeur dépend de l’appartenance sociale : plus les familles appartiennent à des milieux favorisés plus elles possèdent une chambre à coucher autonome pour les parents et donc plus le couple possède un espace intime qui le protège du regard des autres. La pudeur semblent bien présente universellement, aussi démunies ou aussi « traditionnelles » que soient les populations. Elle n’est pas l’apanage des peuples « civilisés ».
C’est ce que confirme aussi l’historien allemand Hans Peter Duerr (1998, MSH) dans son livre Nudité et pudeur. Le mythe du processus de civilisation dans lequel il montre, contre Norbert Elias, un des sociologues allemands les plus importants du XXème siècle, que la pudeur existe au Moyen Âge. Ce que Norbert Elias avait pris pour des pratiques plus « naturelles » ou plus « ouvertes » en utilisant des gravures où hommes et femmes nus sont vus ensemble allants au bain, ne sont en réalité que des scènes de « bains-bordels » (« badepuffs »). Ces scènes de nudité naturelles ne reflètent en rien la pudeur de l’époque : dans « les établissements de bain convenables régnait le plus souvent la séparation des sexes », (p. 49). Les scènes de nu utilisées par Elias pour démontrer son processus de civilisation à la Renaissance ne sont que des scènes érotiques. Ceci n’enlève rien par ailleurs à la qualité des travaux d’Elias qui portent finalement plus sur la socialisation et la naissance historique de la cour, la « curialisation », comme lieu d’incorporation des normes que sur le « progrès » des mœurs. H. Duerr va aussi montrer que comme en Occident, les règles de la pudeur fonctionnent en Orient comme des mécanismes prescripteurs de la norme sociale. Quand en 1886, les costumes de bain font leur apparition au Japon, « ils sont jugés obscènes et en 1888, les autorités de la préfecture de Kanagawa interdisent aux hommes et aux femmes de se baigner ensemble dans la mer » (p 109). La raison en est que bien qu’ils cachent le corps « ils en soulignaient les formes, contrairement au vêtement traditionnel japonais, surtout une fois mouillés quand ils collaient à la peau ».
Cependant, même si la pudeur est un mécanisme universel, sa forme n’est pas immuable. Ainsi au XIXème siècle, sous Napoléon III, les règles de la pudeur en France veulent qu’il ne soit pas décent pour une femme de rester chez elle trop longtemps en peignoir après sa toilette. Peindre une femme « en chemise, à sa toilette », comme l’écrit Marie Simon (1995, Hazan), dans son livre Mode et peinture. Le second empire et l’impressionnisme, signifie pour le peintre une contestation des formes académiques au nom d’un plus grand réalisme, et pour les femmes une volonté de séduction, voire de transgression sociale. Aussi une femme bourgeoise qui sort dans la rue dans la journée doit respecter deux règles : « porter un chapeau (une femme « en cheveux » est une femme du peuple), et avoir les épaules couvertes. Les épaules nues sont réservées aux tenues du soir », (p. 22). Montrer ses épaules dans la journée est impudique. Aujourd’hui ces règles ont à peu près disparu.S’il paraît établi que la transgression des règles de la pudeur peut tout autant relever de la libération que de l’aliénation, peut-on affirmer que ces règles sont universelles avec la même certitude ? En effet, cette affirmation d’universalité qui fonde l’anthropologie ne semble pas évidente a priori, surtout quand je regarde les photos des indiens Nambikwara d’Amérique du sud, du livre de Claude lévi-Strauss (1ère éd., 1955, Plon), Tristes tropiques : ils sont entièrement nus et sont pris en photo dans des positions qui paraissent représenter des relations sexuelles en public et donc prouver qu’ils sont dans un état de nature, « sans honte », proches d’Adam et Eve d’avant le pagne de feuilles de figuier. Et pourtant, d’après Emmanuel Garrigues, sociologue visuel à Paris VII et spécialiste des photos de Lévi-Strauss, la pudeur existe bien. Les photos ne montrent que des jeux sexuels qui sont considérés comme permis dans l’espace public, car quand il y a rapports sexuels les partenaires vont s’isoler dans la forêt. Il leur faut un espace intime caché du regard des autres.
Comment gérer la norme et le regard des autres ? J’ai retrouvé la même question dans le livre de Abdessamad Dialmy (1995, EDDIF), Logement, sexualité et Islam, qui traite des interdits sexuels dans l’Islam, comme le « qae’-derrière » qui correspond à l’homosexualité et à la sodomisation de la femme, deux pratiques « fortement prohibées par de nombreux hadiths » (p.46). Il montre aussi comment le manque de chambre à coucher, et donc d’espace intime, autant dans les villages traditionnels que dans les villes modernes marocaines, et tout particulièrement dans les quartiers pauvres, rend difficile l’expression du sentiment amoureux. « Pour jouir, raconte une femme interviewée, j’ai besoin de me sentir à l’aise et non obligée de faire cela à la sauvette pour éviter de réveiller ma belle-mère qui dort dans l’autre coin de la pièce » (p. 142). Abdessamad Dialmy montre donc que la possibilité de préserver sa pudeur dépend de l’appartenance sociale : plus les familles appartiennent à des milieux favorisés plus elles possèdent une chambre à coucher autonome pour les parents et donc plus le couple possède un espace intime qui le protège du regard des autres. La pudeur semblent bien présente universellement, aussi démunies ou aussi « traditionnelles » que soient les populations. Elle n’est pas l’apanage des peuples « civilisés ».
C’est ce que confirme aussi l’historien allemand Hans Peter Duerr (1998, MSH) dans son livre Nudité et pudeur. Le mythe du processus de civilisation dans lequel il montre, contre Norbert Elias, un des sociologues allemands les plus importants du XXème siècle, que la pudeur existe au Moyen Âge. Ce que Norbert Elias avait pris pour des pratiques plus « naturelles » ou plus « ouvertes » en utilisant des gravures où hommes et femmes nus sont vus ensemble allants au bain, ne sont en réalité que des scènes de « bains-bordels » (« badepuffs »). Ces scènes de nudité naturelles ne reflètent en rien la pudeur de l’époque : dans « les établissements de bain convenables régnait le plus souvent la séparation des sexes », (p. 49). Les scènes de nu utilisées par Elias pour démontrer son processus de civilisation à la Renaissance ne sont que des scènes érotiques. Ceci n’enlève rien par ailleurs à la qualité des travaux d’Elias qui portent finalement plus sur la socialisation et la naissance historique de la cour, la « curialisation », comme lieu d’incorporation des normes que sur le « progrès » des mœurs. H. Duerr va aussi montrer que comme en Occident, les règles de la pudeur fonctionnent en Orient comme des mécanismes prescripteurs de la norme sociale. Quand en 1886, les costumes de bain font leur apparition au Japon, « ils sont jugés obscènes et en 1888, les autorités de la préfecture de Kanagawa interdisent aux hommes et aux femmes de se baigner ensemble dans la mer » (p 109). La raison en est que bien qu’ils cachent le corps « ils en soulignaient les formes, contrairement au vêtement traditionnel japonais, surtout une fois mouillés quand ils collaient à la peau ».
Cependant, même si la pudeur est un mécanisme universel, sa forme n’est pas immuable. Ainsi au XIXème siècle, sous Napoléon III, les règles de la pudeur en France veulent qu’il ne soit pas décent pour une femme de rester chez elle trop longtemps en peignoir après sa toilette. Peindre une femme « en chemise, à sa toilette », comme l’écrit Marie Simon (1995, Hazan), dans son livre Mode et peinture. Le second empire et l’impressionnisme, signifie pour le peintre une contestation des formes académiques au nom d’un plus grand réalisme, et pour les femmes une volonté de séduction, voire de transgression sociale. Aussi une femme bourgeoise qui sort dans la rue dans la journée doit respecter deux règles : « porter un chapeau (une femme « en cheveux » est une femme du peuple), et avoir les épaules couvertes. Les épaules nues sont réservées aux tenues du soir », (p. 22). Montrer ses épaules dans la journée est impudique. Aujourd’hui ces règles ont à peu près disparu. »S’il paraît établi que la transgression des règles de la pudeur peut tout autant relever de la libération que de l’aliénation, peut-on affirmer que ces règles sont universelles avec la même certitude ? En effet, cette affirmation d’universalité qui fonde l’anthropologie ne semble pas évidente a priori, surtout quand je regarde les photos des indiens Nambikwara d’Amérique du sud, du livre de Claude lévi-Strauss (1ère éd., 1955, Plon), Tristes tropiques : ils sont entièrement nus et sont pris en photo dans des positions qui paraissent représenter des relations sexuelles en public et donc prouver qu’ils sont dans un état de nature, « sans honte », proches d’Adam et Eve d’avant le pagne de feuilles de figuier. Et pourtant, d’après Emmanuel Garrigues, sociologue visuel à Paris VII et spécialiste des photos de Lévi-Strauss, la pudeur existe bien. Les photos ne montrent que des jeux sexuels qui sont considérés comme permis dans l’espace public, car quand il y a rapports sexuels les partenaires vont s’isoler dans la forêt. Il leur faut un espace intime caché du regard des autres.
Comment gérer la norme et le regard des autres ? J’ai retrouvé la même question dans le livre de Abdessamad Dialmy (1995, EDDIF), Logement, sexualité et Islam, qui traite des interdits sexuels dans l’Islam, comme le « qae’-derrière » qui correspond à l’homosexualité et à la sodomisation de la femme, deux pratiques « fortement prohibées par de nombreux hadiths » (p.46). Il montre aussi comment le manque de chambre à coucher, et donc d’espace intime, autant dans les villages traditionnels que dans les villes modernes marocaines, et tout particulièrement dans les quartiers pauvres, rend difficile l’expression du sentiment amoureux. « Pour jouir, raconte une femme interviewée, j’ai besoin de me sentir à l’aise et non obligée de faire cela à la sauvette pour éviter de réveiller ma belle-mère qui dort dans l’autre coin de la pièce » (p. 142). Abdessamad Dialmy montre donc que la possibilité de préserver sa pudeur dépend de l’appartenance sociale : plus les familles appartiennent à des milieux favorisés plus elles possèdent une chambre à coucher autonome pour les parents et donc plus le couple possède un espace intime qui le protège du regard des autres. La pudeur semblent bien présente universellement, aussi démunies ou aussi « traditionnelles » que soient les populations. Elle n’est pas l’apanage des peuples « civilisés ».
C’est ce que confirme aussi l’historien allemand Hans Peter Duerr (1998, MSH) dans son livre Nudité et pudeur. Le mythe du processus de civilisation dans lequel il montre, contre Norbert Elias, un des sociologues allemands les plus importants du XXème siècle, que la pudeur existe au Moyen Âge. Ce que Norbert Elias avait pris pour des pratiques plus « naturelles » ou plus « ouvertes » en utilisant des gravures où hommes et femmes nus sont vus ensemble allants au bain, ne sont en réalité que des scènes de « bains-bordels » (« badepuffs »). Ces scènes de nudité naturelles ne reflètent en rien la pudeur de l’époque : dans « les établissements de bain convenables régnait le plus souvent la séparation des sexes », (p. 49). Les scènes de nu utilisées par Elias pour démontrer son processus de civilisation à la Renaissance ne sont que des scènes érotiques. Ceci n’enlève rien par ailleurs à la qualité des travaux d’Elias qui portent finalement plus sur la socialisation et la naissance historique de la cour, la « curialisation », comme lieu d’incorporation des normes que sur le « progrès » des mœurs. H. Duerr va aussi montrer que comme en Occident, les règles de la pudeur fonctionnent en Orient comme des mécanismes prescripteurs de la norme sociale. Quand en 1886, les costumes de bain font leur apparition au Japon, « ils sont jugés obscènes et en 1888, les autorités de la préfecture de Kanagawa interdisent aux hommes et aux femmes de se baigner ensemble dans la mer » (p 109). La raison en est que bien qu’ils cachent le corps « ils en soulignaient les formes, contrairement au vêtement traditionnel japonais, surtout une fois mouillés quand ils collaient à la peau ».
Cependant, même si la pudeur est un mécanisme universel, sa forme n’est pas immuable. Ainsi au XIXème siècle, sous Napoléon III, les règles de la pudeur en France veulent qu’il ne soit pas décent pour une femme de rester chez elle trop longtemps en peignoir après sa toilette. Peindre une femme « en chemise, à sa toilette », comme l’écrit Marie Simon (1995, Hazan), dans son livre Mode et peinture. Le second empire et l’impressionnisme, signifie pour le peintre une contestation des formes académiques au nom d’un plus grand réalisme, et pour les femmes une volonté de séduction, voire de transgression sociale. Aussi une femme bourgeoise qui sort dans la rue dans la journée doit respecter deux règles : « porter un chapeau (une femme « en cheveux » est une femme du peuple), et avoir les épaules couvertes. Les épaules nues sont réservées aux tenues du soir », (p. 22). Montrer ses épaules dans la journée est impudique. Aujourd’hui ces règles ont à peu près disparu.la pudeur est bien un mécanisme universel. Mais les codes sociaux qui la définissent évoluent en fonction de l’histoire et sont relatifs aux cultures et aux classes sociales. Les règles de la pudeur régissent ce qu’il est « permis » ou « interdit » de montrer du corps et donc de l’habillement, autrement dit ce qu’il est « prescrit » de cacher. La pudeur exprime l’importance du regard et des normes que chaque société fait peser sur les individus. Celles-ci expriment à la fois les tensions et les conditions de la coopération entre les classes sociales, les sexes, les générations et les cultures. Elles rappellent le poids de la dimension sociale de la vie en société. »
Merci Eric, avec des billets comme le tien, on fait aussi la recherche a cinq heure du matin…. Et cela vaut la peine, merci pour ce billet personnel, pudique et revelateur, tu aurais du m’ecrire plus souvent mon ami
Déséquilibre de poids émotionnel , j’aime bien l’expression, elle me correspond bien , puis je la ré utiliser ? 😉
Merci Nawal, toujours là après toutes ces années 🙂
Sebastien, mes mots ont traversé l’Atlantique et un jeune geek branché les a lu : strike ! 🙂
Gustavo, l’anthropologie sociale est très exactement le sujet qui me ferait tester de nouveau les bancs de l’école
Oui Isa, cette expression est libre de droit 🙂
À poiiiiiiiiiiiil !!!!
(je déconne)
(+1)
Vinvin, me cherche pas, je pourrais le faire (et t’auras l’air malin après)
Nan mais on te l’a dit, les blogs sont MORTS !!
Oui mais j’adore être à contre-temps 😀
La distance favorisant les échanges écrits, j’aimerai bien avoir ton déséquilibre 😉
+1 pr le commentaire de Vinvin !