En 1996, la magazine CB News fêtait ses 10 ans. Cette semaine, 14 ans plus tard, CB News fêtait sa liquidation judiciaire. On est probablement assez peu nombreux à avoir participé aux 2 évènements.
Il y a beaucoup de raisons de penser que la fin de CB News ferme un chapitre alors qu’un un nouveau cycle s’est déjà ouvert. Ce que j’en retiens est beaucoup plus personnel : la mutation de mon environnement direct, un arrière-goût amère qui m’a fait passer à côté de l’esprit festif de la version 2010 du rendez-vous.
En 1996, je travaille depuis 3 ans et j’ai la chance de participer à la promotion d’une marque encore emblématique sur un secteur porteur. Chez Kodak, les moyens mis en oeuvre sont encore massifs pour assurer la visibilité d’innovations de transition -qui se souvient de l’APS ?- alors que les premiers appareils numériques sont un peu enterrés et que la technologie OLED est carrément enfouie. J’organise des voyages de presse aux quatre coins du monde, participe au Festival de Cannes, à la Photokina, au CES de Las Vegas, aux festivals photo d’Arles et de Perpignan… Les Kodakettes de Jean-Paul Goude sont à leur apogée et constituent une saga publicitaire emblématique qui rafle des dizaines de prix.
Mais lorsque je suis invité en tant qu’annonceur aux 10 ans de CB News, je m’apprête à plonger vraiment pour la première fois dans le monde de la pub qui m’a tant fait rêver. Une passion venue en grande partie de Culture Pub que j’avais au départ découvert comme tout le monde en prétextant un intérêt soudain pour la publicité alors que j’attendais surtout le film coquin du dimanche soir sur M6. Christian Blachas et Anne Magnin ont démocratisé les métiers de la communication en France et m’en ont donné envie. Rien de moins.
Approcher le patron suffisait à me rendre le rendez-vous séduisant mais arrivé dans le mythique Palace, c’est toute la grandiloquence des années d’or de la pub qui me saute au visage : espace immense entièrement redécoré, alcool qui coule à flot (l’immense machine à gin tonic est gravée dans ma mémoire aussi fort que le mal de crâne du lendemain), buffet gargantuesque, confiseries et glaces à profusion, cigarettes distribuées à volonté (je n’ai pas vu passer d’autres substances)…. Cette fête là surpassait tout ce que j’avais connu, même au Festival de Cannes.
On était longtemps après le faste des années 80 mais cette débauche de moyens n’avait rien de très choquant pour personne. Comme un dernier soubresaut. Je profitais simplement de la fête avec quelques amis de mon âge et entouré de professionnels beaucoup plus âgés et riches que moi. Je ne connaissais quasiment personne et j’ai débattu une bonne partie de la soirée avec des inconnus. Je me souviens avoir tout juste eu le temps de passer prendre une douche avant de rejoindre le bureau en me demandant si les quadras seraient autant que moi en état de passer au bureau une journée post-nuit blanche alcoolisée.
Cette semaine, CB News ne m’a pas invité au VIP Room en tant que patron d’agence. Mais en tant que « blogueur », j’ai eu 100 occasions d’atterrir sur la liste des guests. Et j’ai surtout privilégié une invitation du maître des RP du lieu, Laurent Guyot, qui est un ami depuis plusieurs années. C’est donc en qualité de VIP et dans le confort que je suis venu célébrer la fin d’un magazine qui aura marqué l’intégralité des 17 années ma vie professionnelle. Et je dois bien avouer que, malgré l’amitié que je porte à quelques membres de la rédaction, j’en veux un peu aux responsables de n’avoir pas su trouver la façon de se démarquer suffisamment de ce que les blogs proposent gratuitement sur Internet : des papiers de fond trop rares, peu d’exploitation rémunératrice de la marque CB News comme a réussi à le développer son concurrent Stratégies, une ligne éditoriale pas suffisamment forte, peu de réaction face à de nouvelles concurrences gratuites telles que Doc News et Influencia, la version online de Culture Pub -qui continue- jouant un rôle à part. C’est le manque de rigueur pour maintenir un équilibre financier qui est pointé du doigt. Le manque d’utilité de CB News est à peine un sujet, malheureusement.
Dans l’espace privé bondé, je connaissais de près ou de loin toutes les têtes qui m’entouraient : les autres patrons d’agence, les blogueurs qui avaient eu la chance de tomber sur un bracelet de la bonne couleur, les membres de la rédaction. Et je n’ai vraiment échangé avec personne. Le champagne coulait à flot pour notre groupe de privilégiés, à la fois trop pour fêter une liquidation judiciaire et modestement comparé à la version 1996. Les temps ont changé et le monde que j’avais rejoint n’existe plus.
En regardant l’équipe derrière Blachas sur scène, juste avant que les gogo danceuses ne viennent se trémousser sur le podium dans des t-shirts définitivement trop petits, je me suis souvenu. J’ai passé en revue les longs débats avec des membres de la rédaction de CB News mais aussi Stratégies, il y a quelques années, alors que je travaillais dans un autre grand groupe côté agence, DDB, et que je regrettais ouvertement le manque de hauteur des dossiers traitant des grands enjeux marketing pour le futur. Je continue à penser qu’ils sont trop rares, dans Stratégies également, j’ai arrêté de débattre il y a bien longtemps. J’ai croisé du regard celle à qui j’en veux tant de m’avoir appelé il y a quelques semaines avec une démarche et un ton guidés par l’émotionnel plutôt que par la volonté d’analyse qui devrait présider au travail de tout journaliste tel que je le conçois, ajoutant encore de la confusion au mélange des genres journaliste – blogueur.
N’ayant pas exactement le goût de danser sur les tombes, c’est le malaise qui l’a emporté chez moi. Parce que je suis surtout triste pour mes amis qui perdent leur travail. Dans son dernier édito, Blachas explique que c’est la volonté d’indépendance qui a coûté la vie à CB News. C’est sans doute en grande partie vrai. Mais c’est à l’arrivée une certaine idée de la presse professionnelle que j’aime (même si elle me complique la vie parfois dans mon métier) pour oser écrire ou même dénoncer des pratiques qu’elle connait de l’intérieur, challenger les acteurs de son marché…
Pour être franc, je ne me souviens plus de ce qui était écrit dans CB News il y a 16 ans, je me souviens en revanche de l’envie exprimée par tous de faire la fête à un métier pour longtemps en lui donnant du sens. Cette semaine, on a fait la fête mais je ne suis pas sûr d’avoir compris le sens. Et je suis passé du côté des quadras.
J’espère que la marque reviendra plus forte, mieux armée pour investir sur un territoire peut-être plus spécifique mais plus ambitieux qu’une newsletter. Au moment où notre métier a besoin, plus que dans les années 80, d’éclairage pour comprendre l’univers qui nous entoure, on ne peut qu’espérer une presse professionnelle forte et utile.
Tu as trouvé de bons mots, à la fois sincères et gentils. J’aurais certainement été plus incisif, mais tu as raison, on ne tire pas sur un corbillard. Mais tout de même, quel gâchis de diffuser dans la nature de si bonnes compétences (je pense notamment à l’équipe CBwebletter et au CM Twitter).
On peut néanmoins se poser la question: cette mort est-elle le chant du cygne d’une vieille conception de la publicité ou est-ce la première victime d’une profession qui n’a pas su s’adapter ?
L’avenir nous le dira.
http://amelieorio.blogspot.com/2010/11/hang-up.html
Article très juste en tous points et en effet plein de sincérité ! Merci.
bravo pour ce billet courageux et clair. Moi je peux te dire ce qu’il y avait dans le CB qui fêtait les 10 ans, c’est moi qui ai conçu le numéro. le titre était: quelle part de rêve pourra survivre au choc du futur?
c’était en 1996. on est en 2010. Le rêve de CB News n’a pas survécu. Et j’en suis très très triste
Je ne commenterai pas les raisons évoquées, car j’en suis partie en 2004 pour créer INfluencia. Au fait ce ‘n’est pas une concurrence gratuite mais un vrai media avec une newsletter hebdo, désormais quotidienne, et un magazine totalement nouveau car totalement interactif! Nous avons aussi lancé un magazine papier qui s’est -temporairement- arrêté-
Je veux juste rappeler qu’aujourd’hui, on le sait, la pub n’est plus reine, mais il faut savoir aller plus loin, regarder ce qui se passe sur d’autres territoires, dans d’autres pays. Il faut être curieux.
Il faut aussi accepter d’évoluer et croire en des media forts même s’il sont différents des media d’autrefois
mais je voudrais insister sur le fait qu »il faut aussi que les acteurs de ce secteur (et oui, je parle aux annonceurs, et notamment aux agences et aux media) )aident « leurs » media, pas par charité, mais parce qu’ils croient en eux. et parce que ces media jouent un vrai rôle indispensable. parce que sans media sur la com, à terme plus de com!
Un monde parfait? utopie? En tout cas, c’est ma part de rêve!
Isabelle Musnik
Cyroul > je ne suis pas que gentil tu sais 😉 Au passage, la CBWebletter est pour moi un bon exemple de mélange des genres journaliste / blogueur
orio > tu as été plus poétique que moi
Loïc > Merci
Isabelle > Merci pour le rafraîchissement (utile) sur le contenu de CB News en 1996. Et en effet, je ne mentionnais que l’émergence gratuite d’Influencia (je suis bien content que la newsletter devienne quotidienne) et « gratuit » n’est pas forcément pour moi l’opposé de « vrai média » mais tu as raison de préciser.
Isabelle > une remarque supplémentaire : on est également très d’accord sur le rôle des annonceurs et agences qui, pour faire vivre leur presse professionnelle, doivent la respecter. Il faut par exemple qu’elle s’impose comme référence autant auprès des médias généralistes que des blogueurs, lieu d’expression de haut niveau pour des professionnels qui seront fiers d’y être…