Depuis quelques années, sous l’impulsion d’une considération des séries télé quasiment à la hauteur d’un art noble, la complexité s’est invitée dans les scénarios. Mais la ligne de démarcation entre la fascination troublante et l’agacement ultime est souvent ténue. Parfois ça marche en créant une véritable addiction, parfois c’est le drame, avec à la clé un rejet définitif.
Le sujet n’est pas nouveau et le ressenti très personnel. Ainsi, dans le passé, des séries exigeantes telles que « The leftovers » ou « Here and Now » (annulée faute d’audience) m’ont totalement embarqué alors que le carton planétaire « Game of thrones » m’a perdu à jamais (en tout cas je le pensais avant ça) à force d’ellipses et multiplicité de personnages difficiles à suivre.
Il se trouve que j’ai vécu l’expérience à quelques jours d’intervalle cette semaine en terminant deux séries que j’avais mises de côté pour un moment où je disposerais du temps de cerveau nécessaire. Avec à l’arrivée, une révélation et un rejet. Et cette fois-ci, je ne suis pas le seul, ce qui vaut une conclusion sans appel pour les scénaristes et showrunners qui doivent apprendre à ne pas aller trop loin.
American Gods
Un homme sort de prison, sa femme et son meilleur ami viennent de succomber à un accident de voiture, un drame linéaire percuté par une multitude de séquences oniriques, d’événements allégoriques, de scènes de sexe plus ou moins graphiques, d’effet spéciaux science-fictionnant et de situations globalement illisibles. Il faut plusieurs épisodes -ou la lecture préalable du pitch public de la série qui spoile allègrement- pour comprendre que notre personnage central est plongé dans une guerre entre les anciennes divinités et les nouvelles puissances que sont les médias, Internet, les technologies…
Au final, sans prétendre comprendre les divagations issues du roman de Neil Gaiman, l’univers de la série fascine. On s’attache à des personnages pourtant en lévitation, on sourit devant un humour parfois décapant, on se réjouit devant les cabotinages de Gillian Anderson -encore plus jeune que dans X Files – et ses imitations savoureuses de David Bowie et Marilyn Monroe. Au final, on fait abstraction de longues scènes incompréhensibles et de l’inévitable affichage de scènes de sexe frontal pour marquer sa-liberté-de-chaîne-du-câble. Même les « previously on », qui aident parfois à s’y retrouver, sont incompréhensibles en restant dans le ton exact de la série.
Déjà disponible en J+1 en France sur Amazon Prime dès sa diffusion, Canal + Séries a eu la bonne idée de la mettre à son catalogue, toujours disponible « A la demande » pour les retardataires comme moi.
Westworld – Saison 2
Le cas de Westworld est particulier : j’avais adoré la première saison malgré sa complexité narrative, la deuxième saison m’a complètement perdu très exactement pour la même raison.
Pour une fois, je ne me sens pas seul. Comme Pierre Langlais dans Télérama et beaucoup d’autres, j’ai pu assister à une force qui se transforme en faiblesse. On ne comprend rien à ce qui se passe pendant la plupart des épisodes, le temps devient bien long, aucune storyline ne vient nous sauver de l’ennui. Même l’attachement qu’on avait construit pour certains personnages s’efface.
C’est donc avec beaucoup d’efforts -et de temps libre- que je suis allé au bout d’une saison dont les labyrinthes ne m’emmèneront pas vers celle d’après.
Pour ceux qui ont besoin de vérifier de leurs propres yeux, la saison 2 est toujours disponible sur le replay de OCS.
Hollywood, prends garde à toi
On comprend bien les créateurs qui ont vu dans quelques-uns de plus gros succès critiques à la télé une complexité largement saluée. Sur des chaînes où l’audience n’est pas la mesure de succès prioritaire. C’est forcément tentant. Pourtant, à trop jouer avec les limites, ils pourraient perdre les critiques autant que les simples téléspectateurs comme nous. Auquel cas, il ne reste plus qu’à retourner au cinéma.