Hier, samedi 1er décembre 2007 : journée mondiale de lutte contre le sida. Pour ne citer qu’un seul chiffre, le sida, c’est 6800 nouvelles contaminations par jour dans le monde. L’action la plus visible aura sans doute été celle d’Act Up qui a encore démontré son savoir faire en s' »attaquant » aux selles de Velib toute de rose vêtues. Bien sûr, bien d’autres actions se sont déroulées partout en France et à Paris. Mais ce qui l’aura emporté cette année, c’est sans doute l’absence de mobilisation médiatique et surtout politique. Alors que nos décideurs ont compris mieux que jamais qu’en matière de communication, tout est toujours question de signaux forts, on ne peut pas vraiment parler de mise en pratique sur le sujet : pas de prise de parole, pas d’engagement, pas de campagne. Un oubli, un désintérêt ou un calcul politique? Il suffit de regarder l’autre côté de la Manche pour comprendre ce qu’engagement veut dire : la campagne d’information et de collecte « HIV : let’s get talking » y est soutenue par l’intervention du Premier Ministre Gordon Brown himself. Tous les outils de sensibilisation y sont déployés plutôt intelligemment comme on l’a déjà vu en France… dans le passé.
C’est en faisant le tour de mes blogs préférés ce matin que j’ai noté l’absence quasi totale d’intérêt pour le sujet, notamment par les plus jeunes. Sans doute une question de génération. Ou de parcours personnel. Le mien a été jalonné de signaux forts, et je ne parle plus de communication. Peut-être le rejet du sujet me touche-t-il plus que d’autres pour cette raison ?
Si j’ai la chance aujourd’hui d’être séro négatif, c’est sans doute en partie grâce à deux événements qui m’ont marqué pour toujours. Le premier m’a concerné très directement.
Décembre 1988, je profite de la légèreté de ma nouvelle vie d’étudiant. En fac de sciences, l’un des premiers cours de biochimie de l’année avait été consacré au VIH. J’avais ainsi la chance de faire partie des (relativement rares) personnes bien informées sur une maladie alors récente, offrant des perspectives de durée de vie qui se comptent en mois, associée par l’opinion publique quasi exclusivement à l’homosexualité et à la drogue… La peste des temps moderne. Informé donc, mais stupide comme on l’est à 19 ans, je m’étais permis quelques incartades qui m’avaient fait prendre des risques. L’achat d’une boîte de préservatifs dans la pharmacie d’une ville moyenne de province était aussi beaucoup plus compliquée à gérer qu’aujourd’hui. J’aurai quelques heures cette année là pour mesurer à quel point rien n’est assez difficile quand on peut se protéger d’une maladie.
Du jour au lendemain, je passe d’un état de dynamisme absolu à une fébrilité inexpliquée. Des douleurs au niveau de la nuque transforment le moindre mouvement de tête en supplice chinois. En quelques heures, des ribambelles de ganglion apparaissent sur mon cou, sous les bras, au niveau de l’aisne des jambes. Le médecin de famille appelé en urgence n’a visiblement aucune certitude mais me pose pour la première fois plein de questions sur ma sexualité et me prescrit une analyse de sang sur le champ. Trois jours plus tard, mes parents me tendent un papier du laboratoire qui semble avoir détecté l’étrange mal dont je souffre. Le médecin était supposé m’en dire plus au téléphone à 16h00. Je pose mes yeux sur le papier et ne vois qu’un seul mot : VIH.
Moi qui ne suis pas caractérisé par la fiabilité de ma mémoire, à partir de ce moment précis, commence un compte à rebours dont chaque minute est gravée dans ma mémoire. L’intégralité du trajet qui me sépare de la fac en voiture, l’envie furieuse d’emplafonner le camion qui me précédait. Il ne le sait pas mais, en me demandant ce jour-là de le conduire jusque dans son bureau de l’Université, mon beau-frère m’a sauvé la vie, m’interdisant par sa seule présence de fermer les yeux tout en appuyant sur l’accélérateur. La futilité des conversations de mes potes de l’époque, la perspective d’une soirée le samedi suivant à laquelle forcément je ne serai pas, le passage en revue de ceux qui comptent dans ma vie, ceux que j’ai peut-être mis en danger au cours des semaines qui ont précédé, je revois chaque image. Déconnecté de toute cohérence, plus que la perspective de la souffrance et de la mort, c’est la réaction des autres face à cette maladie là que je redoute. Je suis dévasté par le sentiment de répulsion que je ne supporterai pas de provoquer.
A 16h00 précises, j’appelle mon médecin. Je suis déjà résigné lorsque je l’entends parler d’une sensibilité exceptionnelle à la toxoplasmose qui n’est habituellement caractérisé que par un état de fatigue passagé. Je ne sais pas si c’est grave, je ne comprends pas tout ce qu’il me dit. Je ne comprends qu’une chose : je n’ai pas le sida. Je comprends du papier du labo qu’il s’agit de la facture concernant le test VIH demandé par mon médecin en supplément de l’analyse de sang traditionnelle.
En 1992, suite au deuxième événement qui m’a marqué en touchant ma famille -je ne sais pas si j’en parlerai un jour ici- ma mère m’a pour la première fois demandé de lui faire une promesse. Ma main dans la sienne, elle a exigé de moi l’engagement de ne jamais prendre le moindre risque. Elle n’a pas compris ma réponse, elle ne s’en souvient sans doute pas. Je lui ai répondu que je m’étais fait cette promesse là 4 ans plus tôt déjà.
J’ai hésité longtemps avant de publier cette note, si impudique. C’est en partie ma forme d’engagement. Celui qui passe par des histoires humaines plus que par des créations publicitaires et des prétextes de communication. Et si nos expériences individuelles partagées se transformaient en mémoire collective pour se protéger d’une maladie qui reste incurable près de 30 ans après son apparition ?
On a tous eu peur un moment ou un autre lors de circonstances similaires, et surtout avec des symptômes un peu spaces… Bon moi j’ai voulu parler de cette journée, mais j’ai opté pour les schtroumpfs !!!
Les jeunes n’ont plus la même peur de sida car les médicaments contrôlent mieux le virus alors qu’il y a 20 ans, être contaminé par le VIH était un sentence de mort. Peut-être, ils n’ont jamais vu un de leurs proches souffre de cette maladie. Ayant perdu trois amis à cause du sida au début des années 1990, je sais bien que le sida n’est pas curable, qu’il est une maladie douloureuse et que chacun de nous peut l’attraper.
Entre un oncle décédé de la dîte maladie et une personne qui m’est plus que très proche, je crois être sensibilisé moi aussi…
Je me suis fait peur des fois, mais depuis que cette personne est touchée, je peux t’assurer que je ne prends plus jamais aucun risque et que je continue à faire des tests systématiquement à chaque fin de relation (au cas ou).
Ca me fait peur quand les médias disent que pour la 1ère fois cette maladie recule.
Pour moi et dans la vie de cette personne, elle ne fait que avancer…
Belle et émouvante note ! Merci. Il y a encore en trop long chemin à parcourir autour de cette question… Sans en plus rajouter les croissantes discriminations quotidiennes qui souffrent ceux qui vivent avec le VIH, les limitations à leurs déplacements ( sérologies obligatoires pour rentrer dans plus de 107 pays ! ) La réduction qui consiste à traiter les séropositifs dans les seuls termes de la séropositivité revient à les soustraire aux autres dimensions de la vie sociale et politique. Domage que ce 1er décembre se soit encore passé dans la plus grande indifférance. 🙁
Que pensé de la recherche des labo pharmeceutique qui ciblent leur expérience sur des créneaux rentables ? Faut-il bosser avec eux ? Est-ce bien, est-ce mal ?