On jouait à un jeu la semaine dernière qui consistait à se poser des questions entre amis, comme on le fait en fin de soirée bien arrosée quand on a envie de connaître mieux chacun des gens autour de la table. Des questions du genre : « Si tu avais pu ressembler à quelqu’un, ce serait qui ? », « Ton métier de rêve, ce serait quoi ? », « Qu’est-ce que tu penses que les gens disent de toi en général? »… Si j’aime assez la partie où on en apprend plus sur ceux qu’on croit pourtant bien connaître, je ne suis pas très à l’aise dans mes réponses parce qu’elles sont inévitablement un peu compliquées. Un mot ne suffit pas, jamais, développer ennuierait tout le monde, je donne donc des infos passe-partout pas complètement honnêtes. Avec parfois l’envie insupportable de renvoyer sur mon blog pour en savoir plus si quelqu’un demande de développer (mais je me censure hein) :
« Quel est l’adjectif qui te caractérise le mieux ? » : paradoxal (voir mon blog)
« Qu’est-ce qui surprend souvent les gens chez toi ? » : J’ai adoré faire l’armée (voir mon blog)
…
La semaine dernière donc, à la question « Quel est le talent que tu aurais aimé avoir ? », j’ai répondu sans aucune honnêteté « Etre un grand cuisinier » avec l’idée très précise en tête de la vraie réponse.
Mais j’ai bien senti que « Savoir gérer la mort de ceux qu’on aime » allait nécessiter d’en dire plus et surtout plomber durablement un moment sympathique. Et je n’avais aucun moyen de renvoyer vers mon blog, n’ayant jamais osé affronter le sujet ici. J’ai donc préféré prendre le risque de développer sur le boeuf bourguignon ou la blanquette de veau.
On a tous ce point commun d’être assez vite confronté à la disparition des gens qu’on aime. Enfant, on est généralement protégé des moments les plus compliqués par des parents attentionnés. En grandissant, il faut affronter diverses situations face auxquelles je suis d’une faiblesse à peine avouable. Garder la force de soutenir ceux qui restent tout en gérant sa douleur, trouver les mots justes dans les derniers instants, tout simplement rester debout.
En avançant dans l’âge, j’ai pu vérifier que ce talent là ne s’apprend pas tellement, je n’ai pas progressé. Je me souviens en particulier de la dernière visite à une proche en phase terminale d’un cancer qui l’a emporté en deux ans. Je savais que je ne la reverrais pas. Elle que j’aimais tant, avec laquelle on avait tellement ri et partagé, était prête à partir. Je n’étais que sous le choc de son physique transformé par la maladie, le souffle court, les larmes que je me battais tellement à retenir que ma gorge était en feu, le sentiment que la terre sous dérobait sous chacun de mes pas et que je tombais. Je ne savais pas quoi dire, il a fallu que sa fille prenne les rênes, me guide, m’amène à parler de nos bons souvenirs. Au moment de quitter la chambre, je n’ai pas eu le courage de dire autre chose que « je reviens vite te voir », en mentant pour ne protéger que moi, sans le courage de lui dire tout simplement que je l’aimais très fort.
Et j’ai du me rendre à l’évidence : ce talent n’est pas héréditaire. Ma mère ne me l’a pas transmis. Elle qui m’a toujours impressionné par cette capacité à puiser au fond d’elle-même une force distribuée à tous ceux, nombreux, qui comme moi, ne gèrent ni les émotions, ni l’action. Elle réussit à prendre (par) la main l’être cher, ne dire que les mots justes, se rendre disponible pour aider l’entourage dont elle fait pourtant partie et partager une énergie qui soutient les proches avant, pendant et après la fin. Elle se sert du meilleur de ce que l’état d’adulte peut apporter, ce que je pensais acquérir avec le temps.
J’aimerais tellement être utile à ceux que j’aime à la fin de leur voyage, je ne suis qu’un poids supplémentaire à gérer. C’est bien ce talent là que je ne désespère pas de finir par maîtriser un jour. De préférence avec le moins d’entraînement possible.
Bonsoir.
Juste un truc.
Il y a quelque années je suis allé voir un oncle que j’aimais bien à l’hôpital. Nous n’étions pas très proche mais enfant il me faisait rire. Une tumeur au cerveau apprendrai je plus tard. Quand je l’ai vu dans son lit, si dimunié sans force, sans cheveux que j’ai du sortir de la chambre et fondre en larmes dans le couloir, entouré de mes parents et de mes tantes.
Quand mon père est mort brutalement, j’ai tout géré. Les trucs administratifs, les pompes funèbres, l’église, l’enterrement, la prise en charge de ma mère, ma sœur et mon frère.
Ce que je veux dire, c’est qu’il n’y a pas à espérer, appréhender l’attitude à avoir lors de la disparition de nos proches. Ça arrive et sans préméditation, on vit le truc. Pour mon oncle j’ai pleuré, pour mon père je n’ai pas pleuré alors qu’il représentait presque tout pour moi. Et pis voilà.
Bonsoir et merci, je suis bien d’accord que le naturel doit prendre le dessus. C’est bien en cela que ça me semble être un talent que l’on a ou pas.